Patrimoine monumental et transferts de monuments historiques. La loi est votée en première lecture au Sénat !

Le projet de loi relatif au patrimoine monumental de l’État a été adopté en première lecture le 26 janvier dernier au Sénat. Alors que depuis plusieurs semaines, la CGT demandait avec insistance à être reçue par le cabinet du Ministre, il aura fallu attendre le 20 janvier, soit au lendemain de l’examen du projet de loi par la commission Culture du Sénat, pour que le Directeur Général des Patrimoines daigne enfin nous recevoir. Retours sur les évènements.

Silence radio au ministère

Au cours de cette réunion, la CGT a fait part au ministère de son analyse et des multiples dangers que ce projet de loi fait peser sur les monuments historiques appartenant à l’État car, bien au delà du seul ministère de la Culture, c’est l’ensemble du patrimoine monumental qui est concerné, soit pas moins de 1750 bâtiments classés ou inscrits. Le Centre des Monuments Nationaux et ses personnels sont bien sûr en première ligne.

De plus, ce projet de loi s’inscrit dans un contexte pour le moins inquiétant, celui d’une politique immobilière du gouvernement qui vise, via son bras armé France Domaine, à brader le patrimoine de l’État sous prétexte de réduire la dette publique. Les bâtiments classés ou inscrits au titre des monument historiques ne sont bien sûr pas épargnés comme l’a encore illustré l’actualité récente avec la tentative de vente de l’Hôtel de la Marine.

Le Directeur Général des Patrimoines, Philippe Belaval, a d’ailleurs reconnu que le ministère de la Culture n’avait pas la main. De plus, lui-même ne semblait pas totalement opposé à cette politique. N’a t-il pas déclaré en préambule de cette réunion que ce projet de loi pouvait constituer « une solution valorisante pour les propriétés publiques » ? Pour l’administration, ce texte doit même être vu comme un « paratonnerre » ! Réponse totalement inacceptable car, en réalité, il ne contient que des garanties bien trop faibles contre les possibles excès zèle de France Domaine. A l’issue de cette réunion, nous avons bien compris que le ministère guère de marge de manœuvre. Pire, il n’a ni vision à long terme ni doctrine clairement définie en matière de politique des monuments historiques de l’État sinon celle de la politique purement comptable du gouvernement.

Certes, la création d’un Haut Conseil du Patrimoine devant établir la liste des monuments historiques transférables et se prononcer sur chaque candidature est prévue. La décision finale reviendrait au Ministre qui aurait la capacité à s’opposer au transfert. Simple hypothèse : en cas d’avis défavorable du Haut conseil, le Ministre pourra t-il passer outre ? De même, l’avis conforme du Haut Conseil sera requis pour toute demande de déclassement d’un monument en vue de sa revente. D’entrée de jeu, la possibilité de vendre le patrimoine monumental est mise en relief et admise, ce qui pose bien sûr la question de l’inaliénabilité des monuments historiques. A toutes ces questions, les représentants du ministère n’ont apporté aucune réponse réelle, si ce n’est les habituelles circonvolutions rhétoriques.

Vote au Sénat : un Ministre des plus décevant

Lors du débat public du 26 janvier au Sénat, l’opposition parlementaire a déposé plusieurs amendements destinés à garantir l’inaliénabilité des monuments historiques ou à interdire la revente de ceux-ci après qu’ils aient été transférés aux collectivités territoriales. Frédéric Mitterrand a beau affirmer dans son discours introductif : « pas plus qu’en 2004, il ne s’agit d’une braderie du patrimoine de l’État, nous ne vendons pas l’argenterie de famille », il n’en reste pas moins qu’il s’est fermement opposé à tous ces amendements qui ont donc été rejetés. !

Sur la question des baux emphytéotiques administratifs (bail d’une durée supérieure à 30 ans), le Ministre pense que « cette solution peut également être une véritable solution alternative à un projet de cession ». Tout est dit, si le ministère n’est pas spécialement favorable à la vente des monuments, il ne s’y oppose pas vraiment et lui préfèrera, peut-être, un bail à très long terme, y compris en faveur d’un opérateur privé. Curieuse façon de montrer son attachement à la défense du patrimoine national !

De même, les amendements visant à renforcer le rôle et les prérogatives du Haut Conseil ont été quasiment tous rejetés ! Là encore, le gouvernement et la commission Culture du Sénat n’ont pas hésité à tirer à boulet rouge, estimant, comme l’a affirmé le rapporteur de la proposition de loi qu’« il ne serait pas opportun d’alourdir de façon excessive la charge de travail du Haut Conseil ». Ainsi, toutes les propositions visant à mettre le Haut conseil au coeur du processus de transfert afin que son avis ne soit pas seulement consultatif mais que son accord soit rendu nécessaire, n’ont malheureusement pas été retenus. Le président de la commission Culture estime qu’« on ne peut subordonner le Ministre à une haute autorité […]. En revanche il est fort utile que le Ministre soit systématiquement éclairé par l’avis de cette haute autorité. Et s’il décide de passer outre, c’est un acte politique[…]. Au final ce sont les citoyens qui jugeront ». Argument tout de même un peu facile, car une fois que le mal est fait, impossible de revenir en arrière.

Un amendement pour encadrer dans le temps le processus de transfert a également été présenté. Ce dernier reprenait une des préconisations du rapport de la Sénatrice Françoise Férat (également co-auteur et rapporteur de cette proposition de loi). Cette dernière, a pourtant émis un avis défavorable qui a entrainé le rejet de cet amendement ! La loi consacre donc désormais la possibilité d’appel à candidature illimité dans le temps sans aucune restriction des collectivités territoriales.

Quant à la question du sort des personnels, rien de bien nouveau si ce n’est l’introduction d’une mesure destinée à calculer l’effectif transféré, sur les deux dernières années précédant le transfert. Et encore s’agit-il uniquement des postes pourvus ! Qu’en est-il des postes vacants ? Les auteurs ne s’embarrassent pas de plus de détails et se contentent, pour le reste, de renvoyer aux dispositions prévues par la loi de 2004.

Concernant le Centre des Monuments Nationaux, le projet de loi reste inchangé. Conformément aux préconisations du rapport de Mme Férat et du rapport de la Cour des Comptes, l’établissement voit son rôle confirmé et renforcé avec l’inscription de la notion de « péréquation » dans le code du patrimoine, ainsi que l’inscription des monuments dont il a la charge sur une liste établie en Conseil d’État. Ces garanties seront-elles suffisantes pour maintenir son périmètre actuel ? Rien n’est moins sûr…

Malgré tout, il faut tout de même souligner quelques avancées non négligeables par rapport à la rédaction initiale du texte. Ainsi, une disposition a été ajoutée afin que les avis du Haut conseil soient rendus publics et inscrits au Journal Officiel. Cette mesure sera t-elle suffisante pour réfréner les ardeurs d’un Ministre éventuellement un peu trop enclin à passer outre les avis du Haut Conseil ? Le dossier des collectivités territoriales candidates devront également faire mention du mode de gestion envisagé pour le monument transféré. Si cette disposition n’empêchera pas les Délégations de Service Public (DSP) synonymes de privatisation, les choses auront au moins le mérite d’être claires et annoncées dès le début du processus. Les avis du Haut conseil sur les demandes de déclassement en vue d’une revente sont étendus à tous les monuments appartenant à l’État et plus seulement aux seuls monuments transférés à titre gratuit. Ceci renforcera son action de contrôle y compris sur le ministère de la Culture. Enfin, plusieurs dispositions sont introduites afin de garantir, sous certaines conditions, le maintien des collections dans les monuments transférés et ainsi éviter le dépeçage et la vente « à la découpe ».

Le texte ainsi modifié a donc été adopté au Sénat à la majorité, les groupes socialistes et communistes ayant voté contre. Il doit maintenant faire l’objet d’un examen à l’Assemblée Nationale. Dans tous les cas, la CGT-Culture reste extrêmement attentive et continuera à informer les personnels sur l’évolution de ce dossier

Pour une politique ambitieuse en faveur du patrimoine monumental
Pour la défense du Centre des Monuments Nationaux
Pour l’inaliénabilité des monuments historiques
Mobilisons nous !

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