RGPP : l’intersyndicale Culture s’adresse à F. Fillon

Ministère de la culture

CFDT Culture – CFTC Culture – CGT Culture – SNAC FO – FSU – SUD Culture Solidaires – UNSA Culture

Paris, le 6 mars 2008

Monsieur le Premier ministre

Hôtel de Matignon

57, rue de Varenne

75 700 Paris

Monsieur le Premier ministre,

Votre gouvernement conduit au pas de charge, avec le renfort d’officines privées, le chantier de la Révision générale des politiques publiques (RGPP).

Vous appuyant sur des travaux d’audit expédiés en quatre mois, et tenus confidentiels, vous avez déjà arrêté près d’une centaine de mesures rendues publiques le 12 décembre, à l’issue du premier Conseil de modernisation, qui modifient profondément les structures, l’organisation et les modes d’intervention de huit ministères, rien de moins. Aucun dialogue n’a accompagné la préparation de ces décisions ce qui révèle au grand jour l’une des caractéristiques de la « démarche radicalement nouvelle » (ainsi que vous l’avez qualifiée dans votre discours du 10 juillet) que vous entendez suivre pour « moderniser » l’État : faire l’économie de tout débat avec les usagers du service public, avec ses personnels et leurs représentants, avec les élus et les nombreux acteurs investis dans les politiques publiques.

Les annonces du 12 décembre, complétées par les projets législatifs et réglementaires portés par le ministre en charge de la Fonction publique, ont fini de lever le voile sur les véritables objectifs de la RGPP.

La prétendue « modernisation de l’État », de ses structures et de son action, initiée par le Président de la République, n’est, à en juger aux actes, que l’application conforme des thèses des politiques libérales menées dans tous les pays – notamment anglo-saxons – où l’on s’est méthodiquement attaqué, avec les résultats que l’on connaît, aux services publics :

 réduction drastique des dépenses publiques, présentée comme le seul moyen de résorber les déficits (excluant tout abondement des ressources publiques assis sur une fiscalité plus équitable),

 suppression massive d’emplois publics, conduisant à des fusions et compressions d’administrations, à des fermetures de services de proximité, à des trains d’externalisations, voire à l’abandon pur et simple de missions de service public,

 recentrage de l’action de l’État sur des missions a minima de pilotage, de régulation, de contrôle et d’expertise,

 transferts de charges indues aux collectivités territoriales,

 extension du champ des activités marchandes et lucratives,

 recours croissant à l’intervention et aux financements privés,

 destruction du statut et des garanties collectives des fonctionnaires et agents publics, pour les rendre plus solubles dans la logique libérale.

Mettant en oeuvre ces néfastes orientations, vous allez jusqu’à affirmer, de manière fort peu convaincante ni même crédible, que la qualité du service rendu aux usagers des administrations et établissements de l’État se verra renforcée à l’issue des réformes en cours, censées permettre de « faire mieux avec moins ».

Comme laboratoire d’expérimentation de la RGPP, vous avez placé le ministère de la culture, l’un des plus fragilisés, en tête du calendrier de travail du gouvernement.

Comptant tout au plus 25 000 agents répartis sur l’ensemble du territoire national, et doté d’un budget représentant à peine 1% du budget de l’État, ce département ministériel est pourtant bien loin d’avoir les caractéristiques d’une institution publique dispendieuse, aux ramifications tentaculaires, d’autant plus si l’on met ces données en regard des missions qui ont présidé à sa création : démocratiser la culture et la rendre accessible pour tous. Les moyens dont il dispose aujourd’hui, tant en terme de crédits d’intervention et de fonctionnement qu’en terme de personnel, sont, de notoriété publique, cruellement insuffisants compte tenu de l’ampleur de ses prérogatives et responsabilités pour et devant la Nation : la sauvegarde du patrimoine, son accessibilité et son appropriation par le plus grand nombre, un soutien primordial et incontournable à la création et au spectacle vivant, des missions d’enseignement supérieur, le déploiement d’un réseau opérationnel sur tout le territoire, … et nous pourrions développer davantage.

Vous ne pouvez donc pas, dans ces conditions, imaginer sérieusement procéder à des réajustements ou réorganisations viables, qui ne seraient destinés qu’à réaliser des économies d’échelle et une réduction des dépenses, ni décemment soutenir qu’il est possible de « faire mieux avec moins », sauf à mettre en péril ce ministère. Si votre objectif est, comme vous le dites, de réduire les déficits, ce n’est pas en grappillant sur à peine 1 % du budget de l’État que vous dégagerez des marges de manoeuvre. En revanche, les conséquences en seront très lourdes pour la culture.

Derrière cette recherche de prétendues économies (qui ne pourraient être, si vous poursuiviez dans cette voie, que dérisoires), il apparaît chaque jour plus clairement que l’objectif de votre politique – même si vous le contestez – est fondamentalement de remettre en cause la légitimité de l’engagement historique de l’État en matière de promotion de la diversité culturelle, de soutien à l’action culturelle, d’aménagement et de maillage du territoire, aux fins non avouées de livrer la culture à la logique aveugle du marché. Accompagnant la RGPP, l’accélération du désengagement financier de l’État (réduction de ses crédits d’intervention, amputation, voire suppression, de subventions à des projets et équipements culturels) a aujourd’hui des conséquences catastrophiques pour l’ensemble des politiques publiques de la culture où l’État conserve pourtant, comme le souligne une immense majorité des acteurs et des professions du secteur, puissamment mobilisés, un rôle irremplaçable à jouer. Disant cela, nous ne négligeons ni ne minimisons, bien sûr, l’action des collectivités territoriales, elles aussi lourdement pénalisées, qui participent grandement à cette oeuvre essentielle.

La RGPP, que vous qualifiez bien improprement de « réforme », n’est en réalité qu’une authentique régression. Favorables à des évolutions porteuses de progrès pour un développement et un élargissement des politiques publiques de la culture au bénéfice de toute la population, permettant d’explorer de nouvelles voies, de nouveaux « territoires », et accompagnées des créations d’emplois statutaires nécessaires, nous ne pouvons que nous opposer, aux côtés des personnels du ministère de la culture, aux décisions hâtives et autoritaires, annoncées le 12 décembre, que vous vous apprêtez à mettre en oeuvre. En outre, pour aucune d’entre elles, le cabinet de Christine Albanel n’est encore parvenu à nous fournir ne serait-ce qu’une fois, malgré nos demandes réitérées, le moindre argument venant étayer votre affirmation selon laquelle, par ces mesures, le service public culturel verrait son efficacité et sa qualité renforcées. Démonstration est ainsi faite que la communication du gouvernement au sujet de la RGPP ne peut qu’être mise en doute.

Concrètement, nous contestons dans sa globalité le démantèlement et la fusion des dix directions et délégations d’administration centrale, qui doivent être réduites à quatre ou cinq nouvelles entités dont les périmètres ne sont pas encore totalement définis. Une telle orientation constitue une profonde remise en cause des équilibres fondamentaux de notre département ministériel qui s’est construit par l’apport successif de politiques sectorielles. Chacune a contribué à l’unité du ministère en maintenant leur originalité et leur identité pour des raisons techniques et scientifiques liées à leur histoire particulière, parfois bien antérieure à 1959. Par exemple, lorsque l’on connaît ou que l’on observe attentivement les politiques patrimoniales conduites et mises en œuvre par l’État à partir de ses directions d’administration centrale, il saute aux yeux qu’en raison de la spécificité des missions, du contenu des politiques menées, des prérogatives légales ou réglementaires de l’État, des normes et des procédures qu’il édicte et se doit de faire respecter, il n’est pas envisageable de « compacter » l’ensemble ni d’identifier des doublons entre des départements, des services et des bureaux ne travaillant rigoureusement pas sur le même objet (les Archives, les musées et leurs collections, le patrimoine monumental et mobilier, l’archéologie, le livre et le patrimoine écrit, et bien d’autres encore…) . Mélanger et fondre tout cela dans une grande direction des patrimoines, comme l’avance aujourd’hui le cabinet de Christine Albanel en ne se référant qu’à la nomenclature budgétaire de la LOLF, révèle une profonde ignorance des différentes matières dont on parle, des enjeux particuliers qu’elles recouvrent, comme de l’activité des services.

Également , nous refusons la liquidation annoncée du réseau des musées nationaux et la fin d’une politique nationale des musées encadrée et coordonnée par la Direction des musées de France, qui aggraverait encore la « balkanisation » à l’oeuvre depuis les créations des établissements publics du Louvre, de Versailles, d’Orsay et de Guimet. Au passage, nous dénonçons vigoureusement l’emploi, dans la communication gouvernementale du 12 décembre, de parfaites contre-vérités destinées à semer la confusion comme le fait de dire que la Direction des musées de France assurerait actuellement « une gestion directe des musées », ce qui appartient à un passé révolu. Tout autant, nous refusons que les musées nationaux puissent être placés sous le régime industriel et commercial par rattachement à la Réunion des musées nationaux, voie « royale » de prochaines externalisations. En outre, nous sommes résolument opposés aux nouvelles vagues de transferts de charges sur les collectivités territoriales par cession de nouveaux Monuments historiques, voire d’actuels musées nationaux.

Nous combattrons aussi toute nouvelle tentative visant à fragiliser encore un peu plus les services déconcentrés du ministère de la culture (DRAC et SDAP) et, bien entendu, tout projet consistant, dans les régions ou départements où ceux-ci sont implantés, à les rayer de la carte. La RGPP risque en effet de porter un coup fatal à ces services opérateurs dont l’utilité et les compétences sont pourtant reconnues de tous, et dont les missions ont déjà été fortement mises à mal ces dernières années entre autres par le transfert de l’Inventaire, l’abandon de la maîtrise d’ouvrage pour les fouilles archéologiques et pour les travaux sur les Monuments historiques n’appartenant pas à l’État, la décentralisation des crédits pour l’enseignement artistique et le patrimoine non protégé, les restrictions drastiques des crédits d’intervention, des aides et subventions susceptibles d’être allouées au soutien à la création, au spectacle vivant, à la production et à la diffusion cinématographique.

Enfin, nous lutterons de toutes nos forces avec les personnels contre le transfert des activités d’établissements du ministère de la culture vers des filiales privées, notamment, pour ne citer que les plus imminents, à la Réunion des musées nationaux et dans le secteur de l’archéologie préventive.

Le 21 février dernier, à l’appel de l’intersyndicale du ministère de la culture, près d’un millier d’agents se sont rassemblés au Palais-Royal, sous les fenêtres de Christine Albanel et de son cabinet, pour manifester leur colère et leur franche opposition à la logique de la RGPP s’attaquant tout à la fois aux missions, aux structures, aux moyens d’intervention et de fonctionnement de ce ministère, le menaçant même de disparition. Ceux-ci entendaient également dénoncer les projets législatifs en cours à la Fonction publique, constituant une grave remise en cause du Statut général des fonctionnaires et agents de l’État. Parallèlement, une pétition nationale « Non à la RGPP, outil de saccage du service public ! », ayant déjà recueilli environ 4000 signatures durant la première semaine suivant sa diffusion, circule actuellement dans les services et établissements du ministère, continuant de rencontrer une très grande adhésion.

Cette première journée d’action fut également marquée par une grève très massivement suivie, et sans équivalent depuis de très longues années, dans le secteur des musées nationaux entraînant de très nombreuses fermetures de sites dans toute la France. Les personnels, toutes catégories confondues, refusent à une écrasante majorité le démantèlement programmé de la Direction des musées de France et du réseau des musées nationaux, leur privatisation rampante, et la remise en cause de leurs missions de service public comme de leur statut.

Le 29 février, à l’appel de nombreuses organisations professionnelles du secteur culturel, ce sont un millier d’acteurs du spectacle vivant, de la création, de l’audiovisuel, du multimédia, de l’éducation populaire qui se sont à leur tour rassemblés, place du Palais-Royal. Ceux-ci ont dénoncé les nombreuses baisses et suppressions de subventions qui vont jeter dans la précarité les salarié(e)s des secteurs concernés et réduire dramatiquement les possibilités de création, d’action et de diffusion culturelle.

Face à votre refus d’entendre et de tenir compte de ces mobilisations, déjà très significatives, contre vos projets, les agents du ministère de la culture, de la région parisienne comme de province, manifesteront ensemble le 20 mars prochain à Paris, de la rue de Valois à l’hôtel Matignon.

Dès à présent, nous vous demandons de bien vouloir accepter de recevoir rapidement une délégation de l’intersyndicale du ministère de la culture afin de pouvoir vous exprimer de vive voix, concernant le dossier de la RGPP, les positions et les revendications des personnels que nous représentons.

Dans l’attente, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, nos respectueuses salutations.

Pour la CGT Culture

Pour la CFDT Culture

Pour SUD Culture Solidaires

Pour la FSU

Pour le SNAC FO

Pour la CFTC Culture

Pour l’UNSA Culture

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