Intervention de la CGT-Culture au CTP du Ministère de la Culture du 18 décembre 2007

« Madame la Ministre,

Le Président de la République et le Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique ont présenté, le 12 décembre, les premières décisions adoptées par le Conseil de la modernisation des politiques publiques, dont vous êtes membre à part entière, comme tous vos autres « collègues » ministres.


Deux mois plus tôt, le 10 octobre, le Premier ministre, François Fillon, avait exposé de manière synthétique devant les parlementaires de l’UMP ce que l’Elysée et le gouvernement entendaient par ladite modernisation des politiques publiques : c’est « moins de services, moins de personnel, moins d’Etat » point final.

Auparavant, début septembre, Christine Lagarde, Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Emploi avait déclaré dans une émission de radio que le gouvernement engageait « un plan de rigueur pour la Fonction publique », quelques jours après que Nicolas Sarkozy, réservant aux participants de l’université d’été du MEDEF l’annonce de ses prochaines réformes dans le champ économique et social, ait indiqué, concernant la sphère de l’Etat, que le « nombre des directeurs d’administrations centrales sera divisé par deux ».

C’est sur ces bases purement idéologiques que l’actuel gouvernement – dont l’extrémisme des convictions libérales n’a d’égal que la brutalité des choix et des décisions – conduit ce qu’il appelle la Révision générale des politiques publiques (RGPP), dont les premiers résultats ont été annoncés ce 12 décembre.

Comme l’a relevé un récent article du journal Le Monde, le ministère de la Culture est l’un de ceux dont le nombre de directions d’administration centrale sera réduit de façon draconienne. C’est aussi probablement celui, si toutes les mesures avancées se voient traduites dans les faits, qui ressortira le plus fragilisé, pour ne pas dire totalement démantelé, du processus de la RGPP.

Vous conviendrez, Madame la Ministre, que ce sont là des orientations parfaitement absurdes s’agissant d’un des plus petits ministères (environ 25 000 agents répartis sur l’ensemble du territoire national), dont le budget représente à peine 1% du budget de l’Etat.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y a pas là les caractéristiques d’une institution publique dispendieuse, aux ramifications tentaculaires. D’autant plus si l’on met ces données en regard des missions qui ont présidé à la création de ce département ministériel : démocratiser la culture et la rendre accessible pour tous.

Comme vous le savez sûrement – c’est d’ailleurs de notoriété publique – ses moyens tant en termes de crédits d’intervention et de fonctionnement qu’en termes de personnel sont aujourd’hui cruellement insuffisants compte tenu de l’ampleur de ses prérogatives et responsabilités pour et devant la Nation : la sauvegarde du patrimoine, son accessibilité et son appropriation par le plus grand nombre, le déploiement d’un réseau sur tout le territoire, un soutien primordial et incontournable à la création et au spectacle vivant, … et nous pourrions développer davantage.

Dans ce qui s’annonce être la plus importante opération de désengagement de l’Etat jamais entreprise, vous n’avez pas su faire valoir et défendre l’exception culturelle.

Les très maigres économies que dégageront en réalité les réformes et restructurations que vous soutenez auront cependant, sur le terrain, des répercussions gigantesques, voire dramatiques pour les politiques publiques de la culture, où l’Etat conserve pourtant, c’est évident, un rôle irremplaçable à jouer. Disant cela, nous n’oublions pas ou ne minorons pas, bien sûr, l’action des collectivités territoriales qui participent grandement à cette œuvre.

La RGPP, telle que vous entendez l’appliquer au ministère de la culture, n’est rien d’autre que la casse programmée d’un outil précieux et indispensable pour toute la Nation, qui découle directement :

 d’une part, des orientations contenues dans la lettre de mission que vous avez reçue du Président de la République, développent une approche avant tout comptable et économique de la culture, prônant une forte augmentation des financements privés et tendant à soumettre la création et les opérateurs culturels à des obligations de résultat. En somme, une vision ultra-libérale – à l’anglo-saxonne – de la culture et, plus grave sûrement, une conception utilitaire de la culture, de la pensée et de l’art ;

 d’autre part, d’une vision de l’Etat et de son administration réduite à des fonctions de pilotage, de contrôle et d’expertise, mais certainement plus opératrices. Selon vous, l’Etat doit, en matière de politique culturelle, poursuivre – et accentuer – de déléguer ses prérogatives à des opérateurs qu’il subventionne (mais qu’il somme également d’accroître leurs ressources propres), d’externaliser, voire d’abandonner purement et simplement des missions. Ce faisant, il se prive concrètement de toute capacité à mutualiser ses moyens, à en réaliser une péréquation au bénéfice de toutes les structures du ministère sur l’ensemble du territoire, et à élaborer, conduire et mettre en œuvre (en un mot, conserver la maîtrise) des politiques qu’il entend favoriser et développer ;

 enfin, du dogme de l’austérité budgétaire qui vous conduit à proposer au vote de la représentation nationale un budget 2008 dont les crédits sont en recul comparés à 2007 (même si vous soutenez le contraire, usant de grossiers artifices de présentation), et à geler d’ores et déjà 6 % des crédits du ministère annoncés pour 2008. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que vous notifiez aux DRAC des restrictions drastiques portant notamment sur les aides et subventions susceptibles d’être allouées au soutien à la création, au spectacle vivant, à la production et à la diffusion cinématographique, entre autres.

Et vous ne vous arrêtez pas là !

Sous l’autorité du Secrétariat général du ministère de la culture, vous demandez actuellement aux directions de votre administration d’évaluer l’impact économique, social et politique de 3 scénarios possibles concernant les 3 ou 4 années à venir :
 une première hypothèse de travail se base sur une stagnation en volume des crédits budgétaires et des moyens en personnels,
 une seconde hypothèse consiste à réduire ces volumes de 10 %,
 une troisième de 20 %.

En parallèle, vous demandez aux services de passer au crible les politiques, les organisations et les procédures que ceux-ci mettent quotidiennement en œuvre, leur suggérant d’identifier, aux fins de réaliser des économies, des abandons de mission ou des pistes d’externalisation possibles.

Par ailleurs, il vient d’être lancé un recensement exhaustif des postes et fonctions de tous les agents – en commençant par l’administration centrale – nommé « cartographie des emplois », travail préparatoire aux restructurations, fusions, voire démantèlement des services qui sont implicitement contenus dans le schéma RGPP que vous avez retenu, et dont votre Directeur de cabinet nous a présenté l’économie générale le 14 décembre dernier.
Interrogée par la CGT-Culture sur la finalité réelle de cette « cartographie » lors du dernier Comité technique paritaire de l’administration centrale, ce même 14 décembre au matin, l’administration n’a nullement apaisé nos craintes en la matière, visiblement très embarrassée sur le sujet… Mais, ni les personnels ni leurs organisations représentatives ne sont dupes, sachez-le bien !

L’objectif avéré de la politique gouvernementale – même si vous le contestez – s’attaquant tout à la fois aux missions, aux structures, aux moyens d’intervention et de fonctionnement du ministère de la culture est fondamentalement de remettre en cause le principe même d’une action de l’Etat dans le domaine de la culture, et de la livrer purement et simplement à la logique aveugle du marché.

Cet « effacement » de l’Etat, comme la destruction annoncée – la négation même – des structures autour desquelles s’est progressivement construit le ministère, forment l’essentiel des décisions hâtives et autoritaires que vous vous apprêtez à mettre en œuvre sous couvert de RGPP.

C’est un revirement à 180° par rapport aux principes et aux ambitions sur le fondement desquels notre département ministériel s’est historiquement constitué, poursuivant, donnant corps et chair à l’impulsion de Malraux. Malraux, auquel vous faites régulièrement référence, et dernièrement, le 12 décembre, dans la lettre que vous avez adressée aux agents de la culture, alors même que votre politique, qui conduira à l’éclatement total du ministère, est aux antipodes – et va même radicalement dans le sens contraire – de sa vision et de son action.

En définitive, quel terrain préparez-vous concernant notre département ministériel au travers de la RGPP, telle que vous la menez actuellement ? Les opérations de délestage, conjuguées à un compactage généralisé des services produiront sans nul doute, au final, une administration à l’échelle d’un petit secrétariat d’Etat, que beaucoup voient d’ores et déjà placé sous (ou dans) un grand ministère de l’enseignement et de l’éducation : un véritable retour en arrière !….
Mais n’étais-ce pas l’idée de départ de Nicolas Sarkozy, avant de se raviser, confronté à des protestations de toutes parts, présentant à ses yeux d’importants risques ?

Entendez-le : il n’existe véritablement aucune adhésion des personnels à votre funeste projet !

Vous ne consentez à discuter avec eux – par la voix de leurs représentants – que sur la question de sa mise en œuvre, mais jamais sur les orientations de fond.
Aucune transparence n’a entouré la préparation des décisions qui ont été annoncées le 12 décembre. Courant novembre, alors qu’il semblait que votre Cabinet était prêt, devant notre très ferme insistance, à dévoiler quelques pistes, vous avez reçu instruction de l’Elysée et de Matignon de ne rien communiquer. Tout va donc pour le mieux sous l’ère Sarkozy !

Le gouvernement ne cesse de marteler, et encore vous aujourd’hui, qu’« il faut réduire les dépenses de l’Etat », fermant tout débat sur la finalité et l’utilité sociale du service public et de la Fonction publique.

« Faire mieux avec moins », tel est le slogan à partir duquel vous communiquez abondamment pour justifier la RGPP. Vous prétendez même qu’après sa mise en œuvre, le service rendu aux usagers et à la population sera de meilleure qualité et plus efficace.

Mais, comme nous avons déjà pu le constater lors de la présentation des mesures « Culture » par votre Directeur de Cabinet, le 14 décembre, vous n’en faites strictement aucune démonstration, preuve du pur dogmatisme de votre démarche.

Par ailleurs, où et comment comptez-vous précisément supprimer des moyens en personnel ? En ayant par exemple recours à de nouvelles vagues d’externalisation, notamment sur les missions d’accueil et de surveillance dans les musées comme le laisse augurer le transfert de certains SCN à la RMN ?… Ou encore en se déchargeant purement et simplement, sur le dos des collectivités – au travers de structures comme les GIP ou les EPCC – de la gestion de ces établissements, cette perspective valant tout autant pour de nombreux Monuments historiques du CMN ?

En quoi, fondamentalement, les fusions prévues en administration centrale permettront de rendre un service encore plus efficace et meilleur, et comment allez-vous vous y prendre ?

Une seule grande direction patrimoniale, peut-être deux, une autre pour la création (associant DMDTS et DAP), on ne sait toujours pas. Et où placez-vous, où rattachez-vous les enseignements supérieurs dont le ministère a la responsabilité (Ecoles d’architecture, d’art, conservatoires nationaux de musique et de danse) ? Infiniment de questions se posent en réalité, il serait ici trop long d’en faire l’inventaire exhaustif.

Une remarque tout de même : lorsqu’on connaît ou qu’on observe attentivement les politiques patrimoniales conduites et mises en œuvre par l’Etat à partir de ses directions d’administration centrale, certaines très anciennes – et dont l’existence a même largement précédé la création du ministère de la culture -, il saute aux yeux qu’en regard de la spécificité des missions, du contenu des politiques publiques menées, des prérogatives légales ou réglementaires de l’Etat, des normes et des procédures qu’il édicte et se doit de faire respecter, on voit bien mal comment « compacter » et identifier des doublons entre des départements, des services et des bureaux ne travaillant rigoureusement pas sur le même objet. Mélanger et mouliner tout cela en parlant de façon générique du Patrimoine, et en ne se référant qu’à la structure de la LOLF, c’est être profondément ignorant des différentes matières dont on parle, des enjeux particuliers qu’elles recouvrent, comme de l’activité des services.

Quant à dire que la DMF n’exercerait plus la gestion des SCN, suivant l’argument qu ‘il faudrait ne plus gérer ces établissements depuis Paris, c’est ne rien connaître au contenu du travail que réalise cette direction en leur direction. Au passage, le siège de la RMN n’est-il pas, lui aussi, situé géographiquement à Paris ? ! Et pourquoi transférer les structures à caractère administratif que sont les musées aujourd’hui érigés en SCN à un établissement à caractère industriel et commercial ? Bonjour la simplification administrative !… A moins que d’autres objectifs, moins avouables, aient motivé votre décision.

Egalement, que deviennent les services déconcentrés du ministère, les DRAC et les SDAP, avec la RGPP, pour lesquels les réflexions actuellement en cours ne relèvent pas du ministère de la culture mais du ministère de l’Intérieur et de Matignon ?

Dans la communication gouvernementale du 12 décembre, on ne parle plus désormais que de moins de 10 directions régionales structurées suivant les grands périmètres ministériels, qui sont encore aujourd’hui au nombre de 15. Ceci est excessivement peu rassurant pour les DRAC et les SDAP, d’autant plus que le décret portant missions et organisations de ces services, dont on nous promet depuis plus d’un an la publication au Journal officiel, est aujourd’hui « bloqué » par le gouvernement, comme l’a annoncé votre Directeur de Cabinet le 14 décembre. A ce stade, il faut être clair : la remise en cause, voire la disparition, du réseau déconcentré du ministère en marquera purement et simplement la fin.

En conclusion, nous vous demandons ce jour, Madame la Ministre, une seule et simple chose pour cette séance du CTPM : expliquez-nous, en détail, votre vision des réorganisations à venir, pour celles qui n’ont encore été qu’ébauchées, mais surtout, faites la démonstration que les décisions que le gouvernement et vous-même avez arrêtées déboucheront bel et bien sur un meilleur service rendu aux usagers, à la population, aux institutions, groupements et collectivités avec lesquels notre département ministériel est régulièrement en lien ?

Si d’aventure vous vous dérobiez, la démonstration sera faite que vos récentes décisions dans le cadre de la RGPP, qui constituent un véritable passage en force, ne reposent uniquement que sur de la pure idéologie, celle qui veut asphyxier et mettre à genoux le service public, la préservation du ministère de la culture étant véritablement, sur la base de ces sinistres considérations, quantité négligeable. »

~

A ces questions, la Ministre Christine Albanel n’a pas apporté les réponses précises et détaillées que nous attendions.

Tout au plus s’est-elle limitée à des formules convenues, rappelant qu’elle inscrivait son action dans le cadre de la politique impulsée et décidée par le Président de la République : Oui, il faut absolument poursuivre de réduire les dépenses de l’Etat, et oui, d’après Christine Albanel, nous pouvons, au ministère de la culture, « faire mieux avec moins » !

Enfin, il convient d’ajouter qu’elle s’est inscrite en faux, sans avoir véritablement convaincu son auditoire, quant à nos propos sur la destruction programmée, sous couvert de RGPP, du Ministère de la culture.

La CGT-Culture, a d’ores et déjà pris de nombreux contacts tous azimuts pour organiser et faire monter en puissance la mobilisation contre ces nouveaux coups très durs portés contre le ministère.

Elle appelle tous les citoyens, tous les acteurs, tous les personnels et l’intersyndicale de la culture à se mobiliser énergiquement et à résister ensemble.

Défendre le ministère de la culture et le service public de la culture ne passe pas par la RGPP !

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