Édouard Philippe, après les DRAC, donne sa vision de l’administration centrale

Toujours le 24 juillet 2018, une circulaire relative à la déconcentration et organisation des administrations centrales est signée par le Premier ministre ; c’est la circulaire jumelle de celle relative à l’organisation territoriale des services publics ; celle-ci est adressée aux seuls ministres et n’est pas plus publiée que l’autre alors qu’elle concerne tout le monde.

De quoi s’agit-il ?

En deux pages, le Premier ministre « invite » ses ministres à déconcentrer et à réorganiser leurs administrations centrales en s’appuyant sur la charte de déconcentration. Ce message s’adresse aussi à Françoise Nyssen qui a pris de l’avance avec « les chantiers administration centrale-stratège ».

Le schéma proposé par le Premier ministre retire aux administrations centrales toute faculté de mise en œuvre.

Ainsi au niveau territorial, il est question de l’animation, la coordination et la mise en œuvre des politiques définies au niveau européen et national, en oubliant au passage, pour prendre deux actions emblématiques en matière culturelle, l’aide et soutien aux Collectivités et le contrôle scientifique et technique. En cela les termes du Premier ministre ont vocation à écrire des généralités et sont une reprise parfois au mot près de la charte de déconcentration. A ceci près que la notion « d’équité territoriale » dans la charte a disparu de la circulaire du Premier ministre. Oubli regrettable et incompréhensible.

Au niveau central, les administrations doivent seulement assurer, un rôle de conception, d’animation, d’appui des services déconcentrés, d’orientation, d’évaluation et de contrôle. La mise en œuvre n’est plus à l’ordre du jour dans le schéma du Premier ministre. Rien de nouveau en soi quand l’objectif n’est autre que de réduire dans les grandes largeurs et à la hache la voilure de l’État et ses administrations et sa capacité d’agir.

La charte de déconcentration n’est pas si restrictive que ce que veut bien nous écrire le Premier ministre. A titre d’exemple, il est précisé pour les administrations centrales « article 3- II. – Elles peuvent également se voir confier des missions opérationnelles qui présentent un caractère national. ». Cette disposition est fondamentale au ministère de la culture car elle est répond aux missions de notre administration pour partie.

Il est aussi demandé aux ministres de privilégier une déconcentration au niveau départemental ou infra-départemental. Objection là encore ; « la circonscription régionale est l’échelon territorial de la mise en œuvre des politiques nationales et de l’Union européenne en matière de culture ». Cet alinéa de la charte est un des fondements de la présence des DRAC. Et par ailleurs, l’échelon départemental saucissonnerait les collectifs de travail et isolerait les agents. On a pas besoin de cela.

Revue des missions pour une administration centrale stratège ?

Revisiter l’ensemble des missions a déjà été fait en 2015 ; et il est prévu de le refaire dès la rentrée dans le cadre des négociations ouvertes sur les DRAC avec l’administration. Mais les injonctions du Premier ministre vont plus loin. Elles exigent de retirer aux administrations centrales ses capacités à agir et à mettre en œuvre pour en faire des administrations stratèges peuplées de technocrates et totalement hors-sol passant leur journée entière devant des tableaux de bord et à élaborer des stratégies administrativo-budgétaires totalement hors-sol.

Jamais les politiques culturelles ne se sont développées comme ça ; et l’idée de l’administration centrale stratège est contre-productive même si les politiques stratégiques ont besoin d’être développées mais surtout mieux co-construites avec les services déconcentrés, les services à compétences nationales et les établissements, voire en interministériel, en clair mieux partagées pour mieux répondre aux besoins sociaux notamment.

Développer l’évaluation des politiques publiques

Le ministère de la Culture a certes besoin d’être mieux en capacités d’évaluer les politiques qu’il mène mais cela ne passe pas nécessairement pas des tableaux de bord. Réunir les réseaux déconcentrés par métiers ou politiques transversales de manière plus soutenue correspond à un réel besoin et une attente des personnels de centrale et des services déconcentrés. Ce ministère a besoin de maintenir et développer son expertise. Or si plus aucune mise en œuvre n’est possible en administration centrale, le ministère perdra son expertise, se perdra très probablement dans une évaluation chiffrée des politiques et perdra sa place et son rôle auprès des autres ministères, des professionnels, des Collectivités et au niveau international. Est-ce vraiment cela que veut le gouvernement ??

Développer toujours et encore les expertises

Les difficultés rencontrées au ministère de la culture trouvent leur origine dans les réorganisations issues de la RGPP qui empêchent toutes coopérations ou en tout cas les rendent très difficiles. L’enjeu ministériel aujourd’hui est pour le ministère de maintenir et développer son expertise et de favoriser les coopérations au niveau central comme déconcentré.

L’administration centrale doit garder une capacité à agir, à expérimenter et à mieux coopérer en son sein et avec les services déconcentrés, établissements, les collectivités, les réseaux professionnels, les associations et les autres ministères.

Réorganiser n’est pas travailler !

Parallèlement, le Premier ministre en ajoute une couche sur les réorganisations qui seraient consécutives, soit à des compétences qui auraient été en parties confiés à des établissements, soit à la revue des missions menées par les préfets et notamment les conséquences des délégations de compétences qui auraient pu trouver preneur. Ces réorganisations pourraient s’accompagner de transfert vers les services déconcentrés notamment. Il faut bien mesurer que dans cet exercice, l’objectif non écrit ici du Premier ministre n’est autre que 120 000 suppressions d’emplois sur la Fonction publique d’État et territoriale et 160 au ministère.

Pas de service public sans personnels

Au ministère de la Culture, ce sont 60 suppressions d’emplois en 2018 et 60 à nouveau en 2019 en administration centrale. Si la cadence devait rester la même jusqu’en 2022, ce seraient près de 300 emplois en moins. C’est impossible dans tous les sens du terme. Comme pour les DRAC, nous devons obtenir l’arrêt de toute suppression d’emplois en administration centrale. Ce sont ces services qui portent le plus de suppressions d’emplois depuis une décennie. Ça ne peut plus durer. Il en va du devenir du ministère.

Pourquoi Françoise Nyssen veut se débarrasser de son administration ?

Aujourd’hui tous les projets du gouvernement ou de Françoise Nyssen concourent à réduire la capacité d’agir de l’administration centrale notamment ; du projet Camus à la gestion directe !

Qui aura le temps de travailler entre quarante déménagements, cinquante réorganisations, cent transferts ?

Si les intentions de Françoise Nyssen consistent à mettre la pagaille dans le ministère, ce sera réussi ! On voit bien que les injonctions du Premier ministre ne correspondent pas à la réalité du ministère de la culture ni à la vie des services et à ceux qui les font vivre. Il faut laisser les personnels travailler !

Nul n’est épargné par ces projets toxiques qui empêchent de développer la place et le rôle du ministère de la culture et de ses services et établissements et en définitive la culture tout court. La seule chose qui les fera reculer est notre capacité à se faire confiance et à se mobiliser, quelle qu’en soit la forme. Le ministère de la culture n’appartient, ni à Françoise Nyssen, ni à Edouard Philippe, ni à Emmanuel Macron. C’est un service public vivant au service de la société, notre bien commun ; il appartient à la nation.

Voilà donc en quelques lignes, une brève analyse de la circulaire qui n’a pas d’autres objectifs que d’informer toutes celles et ceux qui sont attachés au ministère de la culture et à ses missions. Pour parfaire l’information, vous pouvez consulter la circulaire en cliquant sur le lien : https://www.cgt-culture.fr/wp-content/uploads/2018/07/Circulaire-du-24-juillet-2018-relative-la-d%C3%A9concentration-et-l-organisation-des-administrations-centrales.pdf

Ainsi que la Charte de déconcentration : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2015/5/7/INTX1506835D/jo

Vive la culture

Et que vive le ministère de la culture !

Vive les vacances !

Paris, le 27 juillet 2018