Rapport 2016 de la Cour des comptes : Entre obsessions libérales et démentis au rapport Leleux-Férat

On connait la dérive très libérale de la Cour des compte, initialement dotée d’une mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques – juger si ces politiques ont été conduites efficacement et selon les règles du droit – se pose désormais en prescripteur des réformes à mettre en œuvre, alors que ces dernières relèvent normalement du débat démocratique et de la décision politique. Avec un objectif : réduire toujours plus la dépense publique et le niveau des prélèvements « obligatoires ».

Personne ne sera donc surpris des « recommandations » émises par la Cour sur la politique d’archéologie préventive dans son nouveau rapport annuel, rendu public le 10 février 2016. En 2013 déjà (1), 28 juin 2013., elle s’était prononcée en faveur du maintien du système concurrentiel en archéologie préventive, d’une réduction des activités de recherche au sein de l’Inrap, d’une régulation des diagnostics et de la réintroduction d’un contrat d’activité pour les CDD de l’Institut… Mais au-delà des obsessions habituelles de la Cour des comptes sur la productivité de l’Inrap, les temps de déplacement ou le trop grand nombre de centres archéologiques, le rapport 2016 peut aussi être lu, par bien des aspects, comme une réponse assez directe au rapport sénatorial de J.-P. Leleux et de F. Férat sur le projet de loi « relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine » (LCAP).


Les obsessions de la Cour : temps de transport, conditions d’hébergements, productivité et maillage territorial.

Les magistrats de la Cour des comptes, comme à leur habitude, n’y vont pas par quatre chemins quand il s’agit de s’attaquer aux « avantages acquis » des personnels. S’ils reconnaissent les « progrès notables » accompli par l’institut sur un certain nombre de questions réglementaires et de gestion (mise en place d’outils de pilotage de l’établissement ; amélioration de la comptabilité analytique qui permet de distinguer les dépenses relevant des activités de service public de l’établissement, financées sur fonds publics, du coût de ses activités concurrentielles ; fin des réquisitions de l’ordonnateur pour les frais de déplacement ; rémunération du président du conseil d’administration, etc.), ils estiment que « le bilan de la mise en œuvre par l’Inrap des recommandations du référé de la Cour est insuffisant dès lors que certaines, parmi les plus importantes qui sont aussi les plus sensibles sur le plan social, n’ont pas été suivies d’effets. » (p. 567). Dans le viseur des magistrats, tout comme en 2013, ce qui touche aux conditions de travail et d’exercice des missions des agents de l’Inrap : les temps de transport, les conditions d’hébergement, le nombre de centres archéologiques et la productivité des agents de l’établissement.
Ainsi, l’Inrap dérogerait « au principe du droit du travail selon lequel le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif » (p. 568). En d’autres termes, quel que soit l’éloignement du chantier, tout le monde à 8 h sur le terrain – et le WE sur les routes ! Et puis, comme il n’y a pas de petites économies, autant s’attaquer aux conditions d’hébergement des agents en grands déplacement qui, lorsqu’ils « recourent aux services de prestataires d’hébergement », bénéficient « d’un remboursement à des tarifs supérieurs aux plafonds réglementaires » (p. 568). Finis les palaces qui font, c’est bien connu, le quotidien des personnels de l’Inrap, vivent le camping et les hôtels de passe ! Les magistrats de la Cour à l’origine de ces injonction ont-ils, ne serait-ce qu’une seule fois dans leur belle carrière, essayé de trouver un hébergement simplement correct, sur le littoral et en période estivale, à 55 € la nuitée, ou passé six mois de l’année en grand déplacement, loin de leur famille ?
Mais s’attaquer aux conditions d’hébergement ne suffit pas. « La principale piste de réforme concerne les implantations territoriales puisque, outre son siège parisien, l’Inrap compte 55 sites permanents. […] La nouvelle organisation territoriale de l’État adoptée en 2015, avec la refonte de la carte des régions, doit constituer pour l’Inrap l’occasion d’une réorganisation interne. » (p. 571). Bref, il faudrait, selon la Cour, réduire les coûts de déplacement, mais aussi et surtout en augmenter le nombre, la fréquence et la distance, en réduisant le nombre de centres archéologiques. Très Cop 21 tout ça…
Dernière marotte de la Cour des comptes, le fameux « ratio de jours-hommes travaillés disponibles pour les activités opérationnelles », qui s’établit à 166 j-h en 2014 (p. 571), en deçà des objectifs de productivité fixés à l’établissement. Bien évidemment, contrairement à ce qu’affirme un article récent de l’édition en ligne du Figaro, ces 166 jours ne correspondent pas au temps de travail effectif des agents de l’Inrap (on aimerait bien !), mais au nombre de jours consacrés en moyenne par agent aux strictes activités de terrain, de post-fouille et de recherche. Exit de ce ratio, par exemple, le temps consacré à la formation continue des personnels ou, pour un assistant de prévention, à prévenir les accidents et les risques professionnels. Mais sans doute, dans le « monde rêvé » des magistrats de la Cour des comptes, toute activité d’un archéologue qui n’est pas directement consacrée à libérer des terrains de la « contrainte » archéologique n’a-t-elle aucune utilité… économique.

Démentis aux affirmations du rapport Leleux-Férat

Rien de nouveau donc du côté des « réformes » préconisées par la Cour des comptes. L’intérêt de l’édition 2016 réside plutôt dans l’état des lieux du dispositif d’archéologie préventive, qui valide la nécessité d’une réforme en profondeur. On est très loin, naturellement, d’une remise en cause de la marchandisation de l’archéologie – c’est tout de même un rapport de la Cour des comptes ! Mais les conclusions des magistrats sont extrêmement sévères vis-à-vis de l’Etat, qui « a tardé à prendre les mesures indispensables au bon fonctionnement de l’archéologie préventive ». « La période récente a davantage été marquée par la production de rapports sur l’archéologie préventive à la demande du ministère de la Culture et de la Communication (Livre blanc en 2013, enquête nationale de l’inspection des patrimoines en 2014, rapport parlementaire en 2015) que par les réformes ou décisions propres à concrétiser les intentions dont le ministère avait fait part dans sa réponse au référé de la Cour » (p. 553).
Sont particulièrement pointés : l’absence d’une nouvelle programmation nationale de la recherche archéologique, les trop grandes disparités dans les politiques de prescriptions des services déconcentrés, les « dysfonctionnements persistants qui ont lourdement affecté le rendement de la RAP » (p. 559) mais aussi et surtout l’absence de garde-fous pour « garantir la conformité de toutes les opérations conduites sur le territoire national aux cahiers des charges scientifiques » (p. 556 – recommandation émise dès 2013).

Pour la Cour, si les dispositions incluses dans le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine « vont dans la bonne direction » (en particulier les mesures tant décriée par les opérateurs privés et les sénateurs Leleux-Férat que sont le contrôle a priori de l’ensemble des projets scientifiques d’intervention et le renforcement des conditions d’agrément) « leur efficacité dépendra largement de l’usage que les services de l’État feront de leurs pouvoirs ainsi accrus », alors que « le Livre blanc de 2013 soulignait l’insuffisance des capacités de contrôle et d’évaluation scientifique des DRAC-SRA » (p. 556). Doit-on lire entre les lignes que la Cour préconise un renforcement significatif des effectifs des SRA ?
Par ailleurs, sans en tirer explicitement les conclusions en termes de responsabilités dans la spirale déflationniste des prix pratiqués en archéologie préventive, le rapport souligne que l’Inrap a « cherché à adapter ses prix pour faire face à la concurrence, puisqu’il a limité à 5,65 % en quatre ans (2009-2013) l’augmentation de ses tarifs à l’hectare pour les opérations de fouilles, ce qui représente en réalité une légère baisse réelle en euros constants. Pour méritoire que soit cet effort, il s’est avéré insuffisant puisque, dans le même temps, les opérateurs privés baissaient leurs tarifs de 37,5 % » (p. 564). La Cour des comptes relève également « que l’INRAP et les services des collectivités territoriales ne sont pas éligibles au ‘crédit impôt recherche’ (CIR) alors que les opérateurs privés de l’archéologie préventive peuvent, à ce jour, bénéficier de cette mesure de réduction d’impôt » (p. 564). On voit ici que les interpellations de la CGT commencent à porter leur fruit : le ministère de la Culture et de la Communication, dans sa réponse aux observations de la Cour, insiste d’ailleurs sur la nécessité de réexaminer, « dans le cadre d’une bonne régulation du marché, la possibilité qu’ont les opérateurs privés de bénéficier du crédit impôt recherche. » (p. 582).
Dans leurs conclusions, les magistrats de la Cour des comptes recommandent « d’étudier les mesures permettant de réduire les effets du vieillissement de l’effectif sur la productivité, notamment par le développement de la mobilité interne et externe des agents » (p. 573-574). Le rapport constate en effet – ce n’est pas un scoop – que « le statut particulier des agents de l’Inrap entrave leur mobilité externe, en particulier dans les services de l’État » (p. 570). Sur ce sujet d’une possible titularisation des agents de l’établissement, on notera la position du ministre des Finances et celle du secrétaire d’Etat au Budget qui, dans leur réponse commune au rapport de la Cour, ne s’opposent pas à une évolution statutaire : selon eux, l’Institut « doit également faciliter les reconversions de ses personnels vers une deuxième carrière, ce qui pourrait passer par des modifications du statut particulier des agents de l’Inrap » (p. 578).

Au-delà des obsessions habituelles de la Cour des comptes qui font les choux gras d’une certaine presse de droite, ce rapport 2016 marque peut-être le début d’une prise en compte des dérives du système concurrentiel en archéologie préventive : spirale déflationniste des prix, nécessité de renforcer le contrôle de l’État, distorsion de concurrence engendrée par le CIR, nécessité de faire évoluer le statut des agents de l’Inrap, etc. Il appartient à la nouvelle ministre d’y répondre, en renforçant les dispositions du projet de loi LCAP à l’occasion de sa deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Il nous faudra être nombreux, dans les mobilisations à venir, pour le lui rappeler.

Paris, le 16 février 2016

(1) Communiqué du SGPA-CGT, « La Cour nous règle notre compte » : https://www.cgt-culture.fr/spip.php?article1782

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