Les collections publiques françaises sont et doivent rester la propriété de la Nation. Non à la remise en cause de leur inaliénabilité !

Le principe de l’inaliénabilité des collections publiques est un acquis du droit français forgé par des siècles d’élaboration du droit public et fondé sur la notion de domanialité.
La permanence des biens faisant partie des collections muséographiques définit l’existence même de ce qu’est un musée et cette cohésion indispensable est garantie par leur inaliénabilité. Le code du patrimoine, qui intègre l’article 11 de la loi relative aux musées de France du 4 janvier 2002, prévoit que « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont à ce titre inaliénables ».
C’est précisément ce fondement juridique que le gouvernement et l’actuelle majorité entendent remettre en cause.
En effet, le projet de commercialisation des œuvres et objets des collections publiques est explicitement contenu dans la lettre de mission adressée à Christine Albanel dans laquelle le Président de la République lui demande « d’engager une réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d’aliéner les œuvres de leurs collections ».

En date du 27 septembre 2007, une proposition de loi a été déposée par le député Jean-François Mancel (UMP) visant à autoriser les musées à louer ou à vendre des œuvres issues de leurs collections. Ce projet, qui tient en deux articles, définit deux catégories de biens : les « trésors nationaux », et les œuvres « libres d’utilisation ». Ces dernières seraient aliénables et pourraient donc être louées ou vendues !
Cette marchandisation des œuvres des collections publiques est présentée comme une nouvelle source de financement des équipements et du service culturel… et de futures acquisitions !
L’exposé des motifs de la proposition de loi Mancel reproduit mot pour mot les conclusions d’un rapport commandé en 2006 par Bercy sur « l’économie de l’immatériel ». Christine Albanel met en œuvre la plupart des orientations de ce texte co-rédigé par Maurice Lévy, président de Publicis, et Jean-Pierre Jouyet, aujourd’hui secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes. Il y est question de « développer une politique dynamique de valorisation de l’ensemble des actifs immatériels publics qui permettra de disposer de ressources budgétaires supplémentaires ». Selon ce rapport, « notre histoire, notre géographie, nos territoires sont autant d’atouts dont on peut tirer des richesses. Mais pour cela, il faut développer la protection des marques culturelles et entreprendre plus systématiquement leur mise en valeur ». On pense immédiatement à la vente de la « marque Louvre », contre 400 millions d’euros, à l’émirat d’Abu Dhabi dont le ministre de la Culture considère que les œuvres prêtées devront répondre à la demande du marché ! Et le rapport poursuit : « les établissements culturels sont privés de la capacité de mettre leurs œuvres au service de leur marque(…) pour financer des opérations assimilables à des investissements, qu’il s’agisse d’acquisitions ou de projets de restauration ou de développement ».

Quelle que soit la façon dont elle est libellée, « respiration des collections », « gestion dynamique »…, la CGT-Culture dénonce et rejette toute proposition destinée à remettre en cause un des principes fondateurs des structures patrimoniales.

Notre opposition est largement partagée. Le rapport réalisé en août 2007 par l’inspection générale des Musées à la demande de la directrice des Musées de France concluait à la nécessité impérieuse de conserver le principe de l’inaliénabilité. Tout porte à croire que le rapport que doit remettre Jacques Rigaud à Christine Albanel le 6 février ira dans le même sens.
Notre point de vue est largement celui de la communauté des conservateurs, des historiens d’art, des scientifiques et des professionnels du patrimoine. Nul doute qu’il soit aussi celui de tous ceux qui, en France, veulent défendre l’exception culturelle contre les pratiques mercantiles.
La dérive actuelle veut prendre modèle, là aussi, sur les Etats-Unis où les musées, privés pour la plupart, comme le Moma, le Metropolitan ou le Getty, vendent régulièrement des œuvres pour en acheter d’autres ou pour venir renflouer les caisses.
Mais, en France, l’histoire des collections et des musées publics est indissociable de celle de la Nation, avec un rôle prépondérant du pouvoir royal et, depuis la Révolution, de l’Etat républicain. Elle est consubstantielle à l’image de la France dans le monde entier comme société porteuse d’un projet culturel à vocation universaliste.
Cela n’a rien à voir avec une collection privée répondant à une volonté individuelle, constituée par des acquisitions et des ventes sur le marché. Si certains musées étrangers ont une telle origine, la logique française est autre, fondée sur l’unité et la complémentarité des collections permettant, par des prêts et des dépôts, voire des cessions d’institution publique à institution publique, une politique culturelle cohérente entre l’Etat et les collectivités territoriales. La valeur d’ensemble d’une collection ne se limite pas aux œuvres exposées. On sait, par exemple, que l’opération Grand Louvre a été l’occasion de sortir des réserves des œuvres majeures renouvelant notre regard sur la peinture française du XVIIème siècle. L’accrochage d’aujourd’hui n’est pas celui de demain et les réserves, pas aussi inépuisables qu’on le dit, sont indispensables, en prolongement de la partie exposée, aux programmes de recherche qui font évoluer la connaissance et l’appréciation des collections. Il n’y a pas de bons critères qui permettraient l’aliénation. Un artiste ou une école sur-représenté ? C’est souvent ce qui fait la valeur d’un musée. La moindre valeur estimée d’une œuvre ? Avec ce critère le musée d’Orsay n’existerait pas car une bonne partie du XIXème siècle aurait été bradée.
Vendre pour acheter est un leurre, et des exemples américains récents le confirment. Influer sur le marché de l’art contemporain ? Ce n’est pas le rôle de l’Etat et ce serait une trahison vis-à-vis des artistes dont les œuvres seraient aliénées par les musées. Quelle image, de plus, donnée aux donateurs et quel mépris à leur égard !

Quand on nous dit vouloir s’aligner sur l’étranger, on omet de dire que les pays comparables au nôtre font preuve de plus en plus de prudence en la matière, se référant souvent au modèle français. L’aliénabilité est un combat d’arrière-garde ! L’avenir est aux coopérations scientifiques et culturelles internationales dégagées de tout mercantilisme et fondées sur une conception de solidarité culturelle universelle.

Il n’est pas possible de laisser les musées aller toujours plus loin dans la logique du tout argent. Le Louvre avec ses expériences à Atlanta ou à Abu Dhabi a ouvert la voie. On cherche à transformer les conservateurs en vulgaires VRP à la recherche de finances pour les acquisitions ou les travaux. Et la mission de service public dans tout cela ? Que dire encore du musée Picasso qui ferme prématurément, bien avant le début de ses travaux, pour louer à l’Espagne plus de 200 œuvres ? Un tel objectif est dérisoire par rapport à l’enjeu d’une réelle coopération culturelle pour une grande exposition Picasso dans son pays natal !

Le Président du comité de déontologie de l’ICOM disait lui-même : « Détenues au nom de la collectivité, les collections de musée ne peuvent être considérées comme des actifs réalisables » !

Pour toutes ces raisons, la CGT-Culture s’opposera résolument à la remise en cause du principe d’inaliénabilité dans les musées, pour les fonds patrimoniaux, le FNAC (fonds national d’art contemporain), les FRAC (fonds régionaux d’art contemporain) et l’ensemble des collections publiques d’art contemporain.

Paris, le 31 janvier 2008