Les archéologues prisonniers du système concurrentiel !

La ministre s’engage aujourd’hui à durcir la délivrance des agréments alors que ses services ne sont pas en capacité ou n’ont pas la volonté de faire appliquer le droit existant même lorsqu’ils ont connaissance d’irrégularités flagrantes. De plus, elle n’envisage rien pour lutter contre le dumping social, fléau induit par la loi de 2003 et qui aujourd’hui prend des proportions plus qu’alarmantes…
La situation d’AFT archéologie nous donne aujourd’hui une idée de la vitesse à laquelle nous allons dans le mur. A vous de juger !


L’accélération des dérives de la loi de 2003 est une réalité. Bon nombre de nos collègues archéologues précaires pour remplir leur assiette tous les mois, naviguent entre l’Inrap, les services archéologiques des collectivités et les opérateurs privés et peuvent en témoigner. Tous les jours, ils sont soumis aux effets nocifs de la loi de 2003, mais comme ils ne veulent pas se griller vis-à-vis de leur(s) employeur(s) il est quasiment impossible pour eux de témoigner à visage découvert. Toutefois, cette situation doit être dénoncée car elle précipite l’archéologie préventive et ses personnels, droit dans le mur !

Dernier scandale en date, la société AFT Archéologie, agréée le 22 juin 2012 pour une durée de cinq ans sur les périodes chronologiques allant de l’Antiquité au Moyen Age, piétine allègrement le droit du travail et les mesures élémentaires d’hygiène et sécurité.

Sur le chantier de Guichainville (Eure), les salaires des personnels d’AFT Archéologie à nombre d’heures travaillées égal sont différents d’un technicien à l’autre. Cela permet notamment de défalquer partiellement des salaires le coût des grands déplacements. Si tu es en grand dèp, ton taux horaire est plus bas que celui de ton collègue qui rentre chez lui tous les soirs ! De plus, le versement des indemnités est plus qu’aléatoire.

Comme cela ne suffit pas, pour faire encore quelques économies qui entreront donc dans l’escarcelle des profits, on sous-traite de la main d’œuvre avec une société espagnole (GLOBAL). Ces salariés sont arrivés en France pour 3 mois, sans possibilité de rentrer chez eux aux frais de l’entreprise pendant cette durée et surtout sans connaitre leurs salaires…

Il faut savoir que le Conseil National de la Recherche Archéologique (CNRA) avait, dans un premier temps rejeté la demande d’agrément d’AFT Archéologie, en raison de l’absence de maîtrise de la langue française d’une partie des salariés qu’elle voulait engager pour le travail de terrain et d’étude. Car cela n’est pas sans conséquence sur la qualité de la documentation de fouille produite et sur son accessibilité. Pourtant, aux dernières nouvelles, une autre vague de salariés espagnols doit arriver pour remplacer les précaires dont le contrat arrive à terme.

De plus, la société AFT Archéologie a utilisé un autre procédé très contestable pour obtenir par la suite son agrément en 2012. Elle a maintenu sur sa demande d’agrément le nom d’archéologues précaires alors que ceux-ci avaient signifié qu’ils n’étaient plus candidats aux postes sous CDI proposés. Ces personnels ont alerté la sous-direction de l’archéologie (SDA) de cette irrégularité. La SDA n’a pas donné suite et surtout n’a rien fait pour revenir sur la délivrance de l’agrément…

Et ce n’est pas fini ! Toujours sur le chantier de Guichainville, les salariés (la plupart en CDD) n’ont pas été dotés d’équipements de protection individuels (EPI). Par nécessité, ils portent ceux fournis par leurs précédents employeurs (Inrap notamment). Situation classique et récurrente dans ce beau monde de l’archéologie business… Les installations de chantier ne répondent pas non plus aux normes réglementaires.

Au sein de cette entreprise, toute tentative de dialogue social est suspecte et même ignorée par les patrons voyant l’activité archéologique uniquement comme une aubaine pour se faire de l’argent. Les personnels n’ont pas d’autres choix que de subir ces conditions sans dire un mot de peur des conséquences.

Constatant ces graves manquements, l’inspection du travail a été alertée et s’est déplacée à plusieurs reprises sur ce chantier où nos collègues s’efforcent de faire leur travail dans ce contexte détestable. Suite à cette visite, des EPI devraient, sous peu, être fournis et la base-vie mise aux normes réglementaires.

Il ne fait plus de doute que les dérives mises au jour par cette affaire sont en train de se généraliser… Aujourd’hui, la concurrence est devenue tellement féroce, qu’il n’y a pas d’autres choix, même pour des opérateurs qui seraient, plus vertueux des conditions de travail ou de la qualité scientifique des opérations, que de rentrer dans cette spirale infernale du low-cost pour continuer de réaliser des opérations de fouille.

A l’heure où se dessine une loi Patrimoines qui ne réglera en rien les problèmes et qui servira juste à masquer provisoirement la misère, avant que le système n’explose. Les archéologues publics et privés voient leurs conditions de travail se dégrader de jour en jour. La concurrence commerciale en archéologie préventive induit un dumping social et scientifique qui devient la règle d’or pour gagner ou conserver des parts de « marché ». Le sens même de cette discipline est remis en cause par cette course au moins disant !

Il faut sortir l’archéologie préventive de ce système concurrentiel !

Paris, le 4 octobre 2013

Communiqué de l’intersyndicale archéologie : SGPA CGT-Culture – SUD Culture Solidaires – SNAC-FSU – CNT-CCS