Le ministère en campagne… d’auto-promotion


Le ministère de la Culture
en campagne…

…d’auto-promotion.

Ou comment se payer des articles sur mesure dans les médias.

Priorités budgétaires

« On n’a pas une planche à billets » nous assène l’administration du ministère quand la CGT-Culture lui rappelle l’engagement du ministre sur le repyramidage de la filière administrative.
Afin d’éviter que les musées restent fermés du fait du non-remplacement des agents de surveillance et du méga sous-effectif, le ministère colle des rustines à moindres frais : des vacataires ultra-précaires sur des contrats bouche-trous.

En revanche, le ministère dispose de fonds bien pourvus pour s’acheter des pages dans la presse magazine (Télérama du 18 mai) et quotidienne (Libération du 26 avril 2011), et sous-traiter rédaction et maquette à une boîte de com’, avec des contenus ciselés aux petits oignons par le ministère lui-même ! Une prestation sur mesure, facturée clef en main, pour un objectif 100 % satisfaction du client.
Tout ça en période de restrictions budgétaires et d’incontournables « économies de fonctionnement ».

Le ministère ferme le robinet des concours, mais joue les chasseurs de têtes dans les rubriques Talents, emploi & marchés publics : il cherche des « profils », des « professionnels », des « spécialistes » « souhaitant mettre leurs talents et leur savoir-faire au service des politiques culturelles de notre pays. »
Fonctionnaires s’abstenir ?

Quels sont les besoins déclarés ? : « conservation du patrimoine et documentation, architectes et urbanistes d’État, professeurs d’enseignement supérieur pour nos conservatoires, écoles d’art et d’architecture ; développement des publics ».
Et pudiquement : « spécialistes de la valorisation du patrimoine ». Entendons : sponsoring, levées de fonds, etc.

Aucun danger pour les personnalités du ministère interviewées d’être déstabilisées par les questions des journalistes, qui n’ont pas participé à la rédaction de ce supplément. Tout indique que les questions, toujours convenues, sont ajoutées après-coup, en guise d’amorces au contenu formaté des réponses.

Tout va pour le mieux au ministère de la Culture et des communicants.

On n’est jamais si bien servi que par soi-même

Spécial « Patrimoine culturel », on apprend d’emblée dans l’encart de Libé – c’est le gros titre – que « Les Français aiment leurs musées ! »
Et d’avancer des chiffres de fréquentation qui crèvent le plafond. Question : le ministère a-t-il vérifié les chiffres transmis par ses opérateurs autonomes ? Ou bien les prend-il pour argent comptant ?
70 % environ de ces 52 millions de visiteurs sont des touristes étrangers. Leur ratio a diminué, non à cause de la crise économique mondiale, estime la DG Patrimoines, mais à cause « du nuage islandais » ! Du coup, la part des Français est mécaniquement plus forte, en pourcentage, un élève de 6e comprend bien ça.
Mais le ministère ne recule pas devant l’enfumage.

On lit que « le musée est un lieu accessible, quel que soit le niveau d’études ou l’origine. »
Pourtant, les Français des classes populaires (ouvriers, agriculteurs, artisans), mais aussi commerçants, employés, et même cadres et chefs d’entreprises sont toujours moins nombreux à franchir les portes d’un musée (cf. Les pratiques culturelles des Français 1997-2008, MCC Secrétariat général, 2009).

Le rapport de la Cour des comptes souligne que « la fréquentation des jeunes et des publics issus des catégories socioprofessionnelles les plus éloignées de la culture apparaît en repli par rapport aux années 1990, et les grands bénéficiaires de la politique de l’offre déployée par les musées demeurent, plus que jamais, des parisiens âgés et aisés ».

Le publi-reportage, c’est comme le Canada Dry : ça ressemble à de l’information, mais ce n’est pas de l’information : ce n’est que de la communication, du flyer.

Le plein, s’il vous plaît

« Les très belles expos font le plein », elles « connaissent une affluence record » (par des amplitudes horaires élargies), « rassemblent des foules » (au coude-à-coude), elles « font l’objet d’un véritable engouement » et même « d’un emballement », elles « suscitent l’enthousiasme ».
Quel triomphe ! Le ministère a-t-il connaissance des nombreuses protestations de visiteurs sur les conditions de leur accueil dans les établissements bourrés à craquer ? Pour servir la soupe à ce point à ses opérateurs, on espère que le ministère a sollicité ses établissements publics pour co-financer cette campagne institutionnelle.

Le ministère déclare veiller à la relève de tous les personnels scientifiques dont une proportion importante partira prochainement à la retraite. Parfait : c’est son rôle, cela s’appelle la continuité du service public, et la CGT-Culture approuve cette mesure.
Mais à plafond d’emploi en baisse, cette relève se fera donc au détriment des autres catégories dont les effectifs diminueront donc en plus grande proportion – celles considérées comme plus éloignées du « cœur de métier », donc transférables à l’externalisation, voire à l’intérim si besoin -. Et ça, c’est inacceptable.

Le ministère n’a pas trouvé d’autre moyen que ce publi-« reportage » pour redorer son blason plus qu’écorné dans… la presse indépendante. Dans leur majorité, les médias se sont montrés très sévères dans leur critique de la politique à vue du ministère de la Culture.
Que l’on pense à l’avalanche d’articles féroces et de tribunes hostiles qu’ont suscité ces six derniers mois :

 le projet de création de la Maison de l’Histoire de France

 la location longue durée de l’Hôtel de la Marine

 les projets de concessions d’hôtellerie et de restaurants dans les monuments historiques

 la mise en place d’Hadopi

 le lancement du slogan « Culture pour chacun »

 l’éviction express de la directrice des Archives nationales

 l’éviction express du directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe

 l’éviction express du « responsable des projets » du Palais de Tokyo

pour ne citer que les plus visibles (le ministère étant très attaché à la « visibilité » des projets).

Un tantinet estourbi par ces levées de boucliers, le ministère, pour se refaire une beauté et une vertu, met la main à la tirelire et se tresse à lui-même une couronne de louanges. Dans les interviews de complaisance, les hauts fonctionnaires du ministère se félicitent eux-mêmes de leurs « bons bilans » et de leurs « grands » projets novateurs.
Est-ce risible ou pathétique ?

Toute cette propagande de bon ton, fort coûteuse, ne parvient pas à masquer la réalité extrêmement préoccupante des patrimoines, de leurs services et établissements.
Plutôt que de se répandre en auto-congratulation, le Directeur général des patrimoines serait mieux inspiré de répondre avec des solutions dignes aux revendications de plus en plus pressantes des personnels, comme en témoignent la grève au MuCEM-ATP le 28 avril, la grève au musée Adrien-Dubouché de Limoges dans la semaine précédant la Nuit des musées, la grève à l’Arc de Triomphe et au Panthéon, le préavis sur l’ensemble des monuments historiques le 27 mai.

Ce que nous attendons tous de cette direction, et plus largement du ministère, c’est a minima qu’il colmate sans délai les brèches de l’édifice qui s’effrite de tous côtés : patrimoine, enseignement, création…
Et au-delà, un « engagement très fort ». Un vrai. Et cela, ça urge !
Pas un simulacre d’engagement comme le « soutien » aux musées en régions qui débute par le transfert du musée national Magnin à la Ville de Dijon. Une nuit bien obscure pour les musées nationaux.

Paris, le 24 mai 2011.

Supplément Libé

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