Du syndrome chronique de la direction molle des patrimoines comme facteur aggravant d’une crise monumentale

Depuis le début de la crise du coronavirus, deux réunions se sont tenues en tout et pour tout avec le directeur général des patrimoines et à la demande de l’intersyndicale : les 4 et 18 mai derniers. Le conseiller patrimoine auprès du ministre nous aura quant à lui fait l’honneur de sa présence une seule fois, le 4 mai. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en matière de dialogue social la direction générale des patrimoines (DGP) a encore une très grande marge de progression et qu’elle ne relève pas le niveau hélas très faible imputable au ministre et à son cabinet.

Face à la gravité de la situation et alors que les nuages s’amoncellent à l’horizon économique et social de la chaîne patrimoniale, nous avons pour notre part clairement annoncé la couleur. Il nous semble en effet impératif d’avoir des informations et réponses concrètes, précises et aussi exhaustives que possible, entre autres, sur les sujets suivants :

  • Premier bilan de la reprise d’activité, dans la sphère patrimoniale : Administration centrale et Services à Compétence Nationale, DRAC (Pôles architecture et patrimoines ; Unités départementales de l’architecture et du patrimoine), Établissements publics,

  • Conditions, contexte et calendrier de la réouverture au public des musées, monuments et services d’archives,

  • Quelles perspectives pour les établissements publics patrimoniaux sous tutelle de la DGP tant du point de vue culturel que social et économique,

  • Quid d’un plan de sauvegarde, de relance et refondation pour le secteur patrimonial,

  • Conséquences de l’ordonnance n° 2020-539 du 7 mai 2020 fixant des délais particuliers applicables en matière d’urbanisme, d’aménagement et de construction pendant la période d’urgence sanitaire.

Le dialogue social en berne

Il est extrêmement difficile d’établir un dialogue constructif et dûment étayé tant les réponses du directeur général des patrimoines restent globalement vagues, évasives et souvent équivoques.

Il se confirme toutefois très clairement que le directeur général renvoie l’essentiel des mesures de reprise progressive d’activité et de réouverture à la responsabilité des instances locales, se retranchant sans sourciller derrière la brillante doctrine énoncée par le ministre : refus catégorique de négocier un cadre de protection sanitaire rigoureux, opérationnel et opposable au niveau ministériel ; mépris du dialogue social et des organisations syndicales représentatives des personnels ; conception dégradée des instances consultatives, les CHSCT et CT, convoquées oui, mais, uniquement pour « info » et comme après la bataille.

C’est dans ce contexte absolument incompréhensible, tant la gravité et la complexité de la situation exigent une nouvelle intelligence du dialogue social, que nous continuons d’agir pour une démocratie sociale renouvelée associant pleinement les agents, à l’écoute et en prise directe avec les collectifs de travail.

Guides sectoriels de reprise d’activité et de réouverture au public : en vase clos et surtout sans nous

Nous persistons à dénoncer le fait que les guides sectoriels de reprise d’activité et de réouverture au public (musées et monuments ; services d’archives), publiés à grand renfort de communication par le ministère le 14 mai, n’ont fait l’objet d’aucun dialogue avec les représentants du personnel. Il est du reste écrit noir sur blanc dans ces fameux guides qu’ils ont été réalisés en accord avec les organisations professionnelles – c’est-à-dire avec les organisations patronales ; les organisations de travailleurs intervenant pour leur part plus tard, peut-être, au niveau local, pour essuyer les plâtres d’un cadre de référence dont elles ont été soigneusement écartées. Voilà qui augure bien mal du monde d’après et qui confirme en tous cas les rigidités et les entraves réactionnaires du ministère de tout de suite.

À cette question qui n’a pourtant rien d’anecdotique, le directeur général des patrimoines fait cette forme de réponse confondante : ces guides sont en fait des aides à la reprise et, n’ayant pas de valeur normative, ils sont passés sous les radars du dialogue social. Circonstance aggravante, personne à la DGP n’avait songé a minima à adresser ces guides ou ces « aides » aux organisations syndicales qui, c’est vrai, ont un accès à internet, comme tout le monde. Entre-temps, le directeur général magnanime nous les a fait parvenir !

Premier bilan de la reprise d’activité à l’heure du déconfinement

Face à une administration administrante et tournée sur elle-même, à la DGP comme ailleurs, c’est toujours, encore et encore, la croix et la bannière pour obtenir des informations précises et dûment documentées sur la situation réelle et la position administrative des agents et, y compris, sur leur état de santé.

Si le service des musées de France, la direction de l’architecture ou bien encore celle des archives de France ont bien voulu communiquer quelques chiffres attestant que le travail en présentiel demeure encore minoritaire, ces éléments parcellaires sont essentiellement limités au périmètre de l’administration centrale. S’agissant du plan de vol des nombreux établissements publics et autres entités composant la sphère patrimoniale, l’administration semble définitivement avoir perdu le contrôle et se montre, sauf exception, incapable d’apporter les éclaircissements qui incombent pourtant à son pouvoir de tutelle.

Les questions du travail et de l’organisation du travail : des impensés, à la DGP aussi

Sauf à considérer que le télétravail improvisé qui s’est mis en place avec le confinement était la seule réponse d’urgence possible au risque sanitaire du Covid 19, ce qui n’est pas contestable, nous sommes aujourd’hui en droit de nous interroger sur les conséquences de cette crise sur le travail et son organisation. Or tout démontre que nous avons pris un retard considérable en termes de débat démocratique sur ces enjeux pourtant déterminants pour les conditions de travail des agents, et, in fine, pour l’évolution et le devenir des missions.

Le télétravail à la croisée des chemins

A la DGP comme dans l’ensemble du ministère, le télétravail ne saurait être une formule magique que l’on brandit à l’envi comme pour mieux esquiver la réflexion indispensable sur le travail.

Distance et distanciation ont très certainement accentué le travail en silo et les cloisonnements. Exposés de facto à une rupture physique de la chaîne hiérarchique et à une dématérialisation des relations sociales, nombre d’agents éprouvent durement le sentiment d’isolement et d’abandon.

La DGP saura-t-elle tirer les enseignements de cette période, quand, comment… ? Là encore, nous risquons fort de nous heurter violemment au déficit de dialogue social réel et persistant qui handicape ce ministère.

Autonomie des « opérateurs », un douloureux retour de manivelle

La crise du Covid 19 apporte de fait un cinglant démenti à celles et ceux de tous bords qui prétendaient que la course à l’autonomie des « opérateurs » se passait dans la plus parfaite harmonie et dans le respect des valeurs communes du ministère

En réalité, il y a bien longtemps déjà que les navires amiraux de ce ministère croisent au large et sans contact radio avec la base.

Mais tout ceci ne suffit pas à affoler le directeur général des patrimoines qui continue à penser, même quand il s’agit de la santé de milliers d’agents, que cela se joue au plan local, dans « le respect des spécificités locales », c’est-à-dire au cas par cas, pour ne pas dire à la petite semaine, le tout en contravention totale avec ce principe pourtant consubstantiel à la Fonction publique : l’égalité de traitement de tous les agents partout sur le territoire.

Crise économique et sociale : les patrimoines dans la tourmente

Comme chacune et chacun aura pu le constater parfois avec étonnement, souvent avec beaucoup d’amertume, le patrimoine est pour le moment le grand absent des plans de relance présentés par le Président de la République et le ministre de la Culture.

C’est si vrai que c’est désormais le secrétaire d’État au Tourisme qui, devant la représentation parlementaire notamment, parle des musées et monuments en tant qu’ils constituent des éléments essentiels du développement culturel, touristique et économique de nos territoires.

C’est si vrai que de nombreuses voix, acteurs et professionnels de la culture, et des anciens ministres s’en sont émus sur les ondes ou dans la presse.

Il n’y a pourtant pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que pour les établissements patrimoniaux accueillant du public et fermés depuis plus de deux mois et demi, les pertes sont d’ores et déjà colossales, tant du fait de l’absence de recettes de billetterie que du recul du mécénat ou encore de l’impossibilité soudaine de « privatiser » les espaces.

Si la DGP est assez peu loquace et toujours avare d’informations, l’Unesco et le Conseil international des musées (ICOM) viennent de publier un premier bilan de la crise inédite que nous traversons : 90% des musées du monde, soit plus de 85 000 établissements, ont dû fermer leurs portes durant la crise ; 13% d’entre eux pourraient ne plus jamais les rouvrir.

Interrogé avec insistance sur le montant précis de ces pertes financières, le directeur général des patrimoines fait état de plusieurs centaines de millions d’euros pour l’année 2020, sans donner de chiffre plus précis ni même une fourchette approximative. Il indique néanmoins que la DGP demande l’entière compensation des pertes de l’ensemble des opérateurs pour l’année 2020 et que tout dépendra – on s’en doutait un peu – des arbitrages interministériels… en attente.

Interrogé avec la même insistance sur la situation sociale des opérateurs et le risque désormais avéré de licenciements massifs, le directeur général, hormis l’expression d’un souhait bienveillant, ne prend surtout pas d’engagement formel et n’apporte pas de garantie quant à la pérennité de l’emploi.

Le modèle culturel et économique des établissements culturels et patrimoniaux a vécu

La crise du Covid 19 a mis au jour avec une terrible acuité la fragilité du modèle économique de nos établissements. Fondé sur le mythe de la croissance infinie de la fréquentation, ce modèle apparaît aujourd’hui comme l’antithèse du rôle social, citoyen et démocratique des arts et de la culture.

Serons-nous capables d’imaginer ensemble mais en ouvrant en grand les portes et les fenêtres de la réflexion, une approche nouvelle des musées, monuments ou services d’archives à l’écoute des réalités et des besoins nouveaux du XXIe siècle, rien n’est moins sûr.

En l’occurrence, il convient de rappeler que les organisations syndicales n’ont cessé d’appeler à la tenue de ce débat vital pour l’avenir. Il est juste aussi de rappeler que nos multiples alertes et relances ont reçu systématiquement des fins de non-recevoir.

On voit assez à présent où cet entêtement, et cette culture de l’entre-soi et de l’arrogance nous ont conduit.

Conditions, contexte et calendrier de la réouverture au public des musées, monuments et services d’archives

Cette question fut longtemps, et c’est bien naturel, sur toutes les lèvres. Et puis, le 29 mai dernier, au moment même où le CHSCT ministériel – dont le ministre est statutairement le président ! – se tenait pour rendre son avis sur la phase I du déconfinement (11 mai-2 juin), Franck Riester a présenté à la presse le calendrier détaillé de « la réouverture ». C’est donc par une salve de SMS, en pleine séance, que les élus ont appris la nouvelle.

Ces méthodes ne font pas honneur au ministre de la Culture ni à son cabinet. C’est peu de le dire. Mais l’un des dirigeants a priori les mieux placés pour faire toute la transparence sur cette question cruciale – le directeur général des patrimoines – n’en a pas pipé mot non plus, se contentant le 18 mai encore de distinguer « reprise d’activité » et « réouverture au public » sans rien dire de plus.

Toujours est-il que ce calendrier de réouverture découvert par voie de presse est un programme à la carte, laissé d’abord au libre arbitre et à la responsabilité de chacun des responsables, localement, et dont il est impossible de discuter loyalement.

Dans ces conditions, on se demande bien quelle est la plus-value apportée par la DGP et ses services. Certainement une forme d’expression de la tutelle très relâchée et ultra-moderne qui nous échappe…

Rien ne nous empêchera cependant de penser que le ministre, l’administration et le directeur général des patrimoines abordent les enjeux de la réouverture au public avec beaucoup de légèreté et de suffisance au regard des erreurs commises au cœur de la crise.

Archéologie : toujours et encore les mêmes inquiétudes

Il nous faut, pour finir, évoquer une nouvelle fois la situation préoccupante de l’archéologie préventive, évidemment pour souligner les risques sanitaires qui pèsent sur les personnels à l’aune de la pression exercée par les aménageurs et plus largement par les entreprises du BTP. Mais aussi pour interroger, là aussi, le modèle économique de ce secteur fragile ou encore évoquer les menaces explicites sur l’archéologie programmée alors qu’elle pourrait faire l’objet de nombreux reports. Sur ce dossier comme sur les autres, le directeur général des patrimoines se montre très évasif.

C’est à nous toutes et tous, ensemble,

de redonner un avenir aux patrimoines et à notre ministère !

Toutes et tous mobilisés pour construire notre avenir !

Paris, le 4 juin 2020