Du confinement au déconfinement, des « retex », mais quels enseignements pour quels changements concrets, immédiats et durables

A moins de désespérer de tout et pour toute éternité, au sortir du confinement, nous sommes toutes et tous en droit d’attendre que la crise inédite et dramatique du Coronavirus nous serve positivement de leçon.

Serons-nous capables en effet de corriger collectivement nos erreurs systémiques, d’interroger en profondeur nos modèles sociaux et économiques à l’aune de la catastrophe climatique annoncée. Serons-nous capables de repenser le travail, sa place dans la société et dans la vie des femmes et des hommes, ainsi que son organisation.

Serons-nous capables de considérer objectivement la nécessité impérieuse de refonder totalement le dialogue social en faisant confiance à la démocratie et à la participation active de chacune et chacun au ciselage du sens et aux décisions.

Tout cela, nous l’éprouvons et le souhaitons ardemment. Mais comment croire encore que ces changements pourtant vitaux seront possibles sans notre intervention et une forme d’engagement nouveau et plus fraternel. C’est donc le vœu que nous formons et l’appel que nous lançons aujourd’hui.

Le passé nous poursuit et va même jusqu’à nous précéder

A l’heure du confinement et au plus fort de la crise sanitaire, nous nous sommes dit que c’était le moment ou jamais de serrer les rangs, de trouver de nouvelles voies effectives et efficientes de travail collectif. Nous nous sommes pris à rêver du dépassement possible des clivages et des cloisonnements absurdes et stériles, de la résorption, enfin, des difficultés d’organisation, des pesanteurs administratives et des méthodes et procès archaïques qui pourrissent notre quotidien et obèrent le sens et la valeur de nos missions.

Mais force est de constater que les dirigeants de ce ministère sont restés sourds à cette aspiration pourtant profonde. Incapables de faire le pas de côté salvateur, ils ont reproduit les schémas du passé amplifiant ainsi au pire moment les difficultés dont toute la communauté de travail témoigne depuis longtemps.

Non seulement le fossé caractérisant les relations de travail entre l’encadrement supérieur et les personnels – hiérarchie intermédiaire comprise – ne s’est pas réduit mais s’est-il encore creusé alors même que la pandémie et ses effets anxiogènes aigus exigeaient que l’on soigne et que l’on répare les liens sociaux et les relations humaines en valorisant l’expertise et l’attachement des agents au service public de la culture.

De la bienveillance comme un mantra de « communicants » ne résistant pas à l’épreuve des faits

« Bienveillance », si un mot fut galvaudé dans cette période douloureuse, c’est bien celui-ci.

Les premiers dirigeants du ministère et de l’administration n’ont cessé de s’y référer jusqu’à l’abus. Mais pour quoi faire en vrai. Pour verrouiller à double tour le petit cénacle des cellules de crise et d’anticipation, pour décider de tout et du reste aussi, tous seuls et en catimini. Pour élever encore plus qu’auparavant le niveau déjà excessif de la rétention d’information et laisser les agents terriblement isolés face à leurs interrogations et au devenir de leurs dossiers.

Tendance à la déresponsabilisation des « grands chefs », autonomie du travail pervertie et isolement des agents : confusion et injonctions contradictoires

Se payer de mots peut faire illusion un temps mais ne suffit certainement pas à corriger les effets pervers d’une situation dégradée. Après « bienveillance », le terme « autonomie » arrive certainement en tête des échappatoires faciles empruntées par l’administration.

Il serait probablement outrancier de déclarer que les agents ont été totalement livrés à eux-mêmes.

Reste qu’au rendez-vous malheureux du sous-équipement informatique (pas de clés VPN ou RSA disponibles ni même de P.C) et des retards technologiques du ministère, les agents ont dû faire face à distance à la rupture des circuits hiérarchiques, avec les moyens du bord, avec le plus souvent leur matériel personnel, et par conséquent en butte à des conditions de travail extrêmement dégradées et éprouvantes.

Quand le refus de penser le travail autrement et les fantasmes sur le télétravail se paient cash

En matière de rapport au travail et d’impacts complexes et controversés du télétravail sur un ministère et une administration comme les nôtres, peut-on dire que nous avons été réellement surpris par cette crise. Même s’il convient de faire preuve d’humilité devant l’ampleur et la soudaineté du phénomène « Covid 19 », la réponse est évidemment négative.

Comme en attestent les procès-verbaux des instances représentatives des personnels depuis des années, les élus et tout particulièrement les élus de la CGT-Culture n’ont eu de cesse de demander un débat, une réflexion et des travaux sur les mutations du travail à l’heure de la révolution numérique et de la montée en puissance imprescriptible du télétravail. Ces demandes répétées ont toutes été balayées peu ou prou d’un revers de main.

Remuer le couteau dans la plaie n’est jamais très agréable. Pourtant, comment expliquer et justifier que des agents accomplissant expressément des tâches dites essentielles et prioritaires telles que le paiement des prestataires, la régularisation y compris financière d’actes juridiques ou encore le paiement de subventions se soient vu refuser la fourniture du matériel informatique indispensable.

Les mêmes maux ayant des effets multiples, ce sont les mêmes retards d’avenir, les mêmes impensés et la même gestion par la pénurie qui ont conduit à placer d’office de nombreux agents en ASA (autorisation spéciale d’absence), comme si ce positionnement administratif arbitraire et quasi informel était sans conséquence sur le droit des agents concernés (notamment en termes de congés) et, plus grave, sur l’estime de soi et, in fine, la santé psychologique. Dans une administration centrale qui, en réalité, a très peu de tâches non télétravaillables, c’est inqualifiable.

La deuxième phase du déconfinement a déjà commencé et les habituelles consignes contradictoires sont encore une fois à l’ordre du jour. A titre d’exemple, quand la consigne générale énoncée par le secrétariat général pour la reprise est : « maintien en position de télétravail ou de travail à distance pour la majorité des agents jusqu’au 8 juin »… la direction de la DGCA s’empresse d’envoyer un message aux agents imposant leur présence à partir du 2 juin, en brandissant la menace d’enlever de jours de congés.

Bien qu’il soit forcément douloureux de le faire, nous nous devons de regarder la réalité en face. Or le constat est amer. Cette crise gérée, en France comme au ministère, dans la plus grande cacophonie et à grand renfort de mensonges grossiers et éhontés a éclairé d’une lumière froide et cruelle l’affaiblissement de l’Etat, le délitement de nos services publics, le poids considérable et pernicieux et la toute-puissance de la technostructure sur les institutions et leur fonctionnement démocratique.

Et après quoi

Il faudrait être fous ou stupides ou les deux pour, après une telle claque et près de 30 000 victimes, faire le plein à ras bord de mauvaise foi et d’entêtement mortifère pour redémarrer à fond dans la même direction et avec le même logiciel.

Nous sommes à présent très nombreuses et nombreux à avoir compris qu’il faut sans attendre tourner la page et changer de paradigme.

Mais les intérêts économiques, les injustices, les inégalités et les antagonismes sociaux sont là et bien là, plus menaçants peut-être que jamais, alimentant déjà les crises de demain.

Au ministère comme ailleurs, à quoi et à qui pourra-t-on se fier sans que nos espoirs de changement ne soient trahis une nouvelle fois. Ne cédons pas à la facilité ni aux faux-semblants confortables. Considérons sereinement et en confiance que notre destin est entre nos mains et que seule notre intervention collective, raisonnée, débattue et organisée pourra peser sur le cours des choses et faire bouger les lignes.

C’est forts de cette conviction et résolument tournés vers l’avenir que les membres et animateurs du syndicat CGT d’administration centrale, toujours présents à vos côtés, vous proposeront tout prochainement, pour avancer et construire ensemble, des réunions et des assemblées sous toutes formes possibles.

C’est à nous toutes et tous, ensemble, de redonner un avenir à l’administration centrale et à notre ministère !

Toutes et tous mobilisés pour construire notre avenir !

Paris,le 3 juin 2020