Donation de Marc Ladreit de Lacharrière : on ne nous dit pas tout !

La donation de Marc Ladreit de Lacharrière aux collections nationales a fait l’objet d’une présentation au conseil d’administration de l’établissement public administratif du musée du quai Branly – Jacques Chirac.

Vos représentants CGT ont pu obtenir que la convention soit précisée, et alerter sur certains points de la mise en œuvre. Le débat a prolongé le conseil d’administration sur une durée inédite. Voici les éléments de notre intervention rendus à votre jugement.

L’exposition des œuvres de la donation est prévue sur la mezzanine “ouest”. L’espace sera partagé avec des expositions visant, chaque année, une thématique liée à l’histoire des arts non-occidentaux, ou questionnant le regard que l’Occident porte sur ces arts en prenant pour support le produit de l’activité d’artistes ou de collectionneurs.

La mezzanine “ouest” est un espace modulable, et qui, contrairement à la mezzanine “est”, n’est pas coupée par des sanitaires. L’accès en est magnifique prolongeant la “ rivière”. Elle avoisine le quart de la surface des expositions temporaires du musée – entendu mezzanines et galerie jardin (800 m2 pour 3 620 m2).

Elle est actuellement dévolue à des expositions portant une réflexion anthropologique – cette orientation fut propice au développement de propositions émises par le département de la recherche de l’établissement. On y vit les expositions – Qu’est-ce qu’un corps ? – Planète Métisse – Fabrique des images – Exhibitions, l’invention du sauvage – Cheveux chéris, frivolités et trophées – Nocturnes de Colombie – Tatoueurs, Tatoués – Persona. Etrangement humain – l’Afrique des routes.

Certaines appartiennent au palmarès des succès du musée. La réflexion anthropologique a en effet un net succès auprès du public : 945 000 visiteurs en 2014 et 2015 pour ce type d’exposition ; statistique pouvant être comparée aux 607 000 visiteurs des expositions de la mezzanine “est” caractérisées par la diversité de leur approche (Chiffres publiés aux dossiers des conseils d’administration).

De plus, la motivation pour visiter une exposition en mezzanine est supérieure à celle de voir les collections permanentes, et depuis 2010, est supérieure à celle de visiter une exposition temporaire dite « internationale » en galerie jardin (extrait de la brochure date anniversaire de l’ouverture au public des 10 ans.). Il apparaît que l’orientation du programme culturel du musée, en particulier par ses expositions temporaires, notamment à sujet anthropologique, plait au public – voir aussi l’intérêt des enseignants et des publics scolaires.

La convention avec Marc Ladreit de Lacharrière modifiera le prisme programmatique du musée en fixant, depuis la mezzanine “ouest”, en hauteur, le point de vue du collectionneur, goûteur d’art, et le regard de l’artiste occidental. Alors, en conséquence, il sera perdu définitivement le quart de la surface des expositions temporaires du musée pour la réflexion anthropologique ainsi que la connaissance des faits, des productions, des pratiques, des échanges, de l’autre, en perspective de son histoire lorsque nécessaire.

Des expositions temporaires “art et regard de l’Occident” étaient programmées en mezzanine “est” mais alternativement à d’autres thématiques (toute vivifiantes). Le jeu de la programmation sur les différentes mezzanines permettait d’affirmer dans le rapport de développement durable de l’établissement édité en langue française et anglaise pour une large diffusion « la programmation se caractérise par la diversité des approches ». Qu’en sera-t-il ?

La mezzanine “ouest” est-elle vouée à se figer ? Car, elle présentera en permanence la donation d’un unique collectionneur sur moitié de la surface – réduisant ainsi l’espace d’exposition temporaire du musée – et pour l’autre moitié, le même collectionneur aura à donner son accord sur les expositions à programmer.

Quelle place aux propositions du département de la recherche de l’établissement ? Le Président de l’établissement, voulant nous rassurer, affirme que l’orientation anthropologique ne disparaîtra pas des programmes et ne sera pas non plus simplement diluée dans les expositions sur d’autres thématiques, mais sans préciser la fréquence ni les surfaces occupées. La galerie jardin reçoit les expositions “internationales”. Pour conserver une place aux propositions du département de la recherche, il faut lui en réserver une : continuons d’œuvrer sur la mezzanine “ouest” ! Par ailleurs, la présentation de la donation Marc Ladreit de Lacharrière est tout à fait viable en mezzanine “est”.

A moins que le département de la recherche de l’établissement soit voué à être écarté au profit de Marc Ladreit de Lacharrière.

Marc Ladreit de Lacharrière aura à donner son accord sur les expositions à programmer en mezzanine “ouest”. La convention le prévoit ainsi qu’un soutien du donateur à hauteur de 200 000 € par an pendant 5 ans ; au-delà de 5 ans la convention peut être renouvelée.

Le Président de l’établissement présente la convention comme un mécénat classique. Il ne s’interdit pas de pouvoir passer outre un désaccord de Marc Ladreit de Lacharrière, perdant ainsi son soutien financier. Cependant, nous serions sereins car assurés de pouvoir conserver une telle liberté si la convention n’était pas sur 5 ans et renouvelable déterminant successivement plusieurs expositions : il serait étonnant que l’établissement budgète sur plusieurs exercices annuelles en prévoyance les moyens financiers ou recherche un mécénat alternatif afin de pouvoir rejeter le soutien financier de Marc Ladreit de Lacharrière, la convention alors validée. Ce mécénat n’est certainement pas classique car il est mis en œuvre avant que les projets d’exposition soient définis donnant alors pouvoir à Marc Ladreit de Lacharrière d’exprimer son désaccord d’un projet à l’autre. Pouvons-nous supposer un risque d’ingérence ?

La face “exposition” du projet est critiquable, qu’en est-il de la donation ?

N’acceptons pas, d’emblée, l’évidence comptable comme l’Alpha et l’Omega. Une trentaine d’année d’actuel budget d’acquisition de l’établissement permettrait de disposer aux collections nationales des 38 œuvres telles que valorisées pour la donation, mais ne jugeons pas la valeur financière du lot, plutôt celle des pièces pouvant être véritablement souhaitées pour acquisition. Alors, combien de pièces présentent un intérêt conforme au projet scientifique et culturel du musée ou un caractère exceptionnel ? Quelles pièces auraient été les choix d’acquisition du musée après l’aboutissement des recherches menées par des conservateurs si telle avait été la procédure comme en dehors d’une donation ?

Le conseil d’administration a fait savoir que l’avis de chacun des membres du conseil scientifique a été positif, et de même l’avis de l’instance similaire au ministère. Il semble aussi, à comprendre le Président de l’établissement, que la force du projet est à voir dans la perspective de donations récurrentes de Marc Ladreit de Lacharrière qui serait ouvert aux conseils de conservateurs pouvant guider ses achats futurs d’œuvre.

Nous avons décrit les effets négatifs de la contrepartie offerte à Marc Ladreit de Lacharrière : l’installation en mezzanine “ouest”. Le changement de dénomination de la mezzanine “ouest” en « Galerie Marc Ladreit de Lacharrière » et son ouverture publique le 30 juin 2019 sont les conditions dont dépend la naissance de la donation, auxquelles 17 œuvres sont soumises.

Par ailleurs, le dossier du conseil d’administration ne fait pas cas de conditions pouvant mettre en péril la donation après qu’elle fut effective. C’est par le débat que nous avons eu connaissance de l’existence de ce type de condition dite résolutoire.

La première condition résolutoire, commune à d’autres donations, détermine la rupture de la donation à la décision de déclassement prise par l’Etat pour autoriser la restitution d’une œuvre à un pays d’origine.

La seconde détermine la rupture à la permanence de la qualité de présentation des œuvres.

La condition évoquée au conseil d’administration sans plus de précision qui était la permanence du rayonnement du musée n’est plus d’actualité.

La troisième détermine la rupture de la donation au désintéressement financier du musée du quai Branly – Jacques Chirac par l’Etat. La convention ne précise pas le degré du désintéressement.

La quatrième détermine la rupture de la donation à la modification du mode de gestion du musée de manière substantielle, mais la formulation est encore imprécise du fait de la compréhension multiple du terme « mode de gestion » et du flou de la limite.

Les conditions présentes sont en première lecture sympathiques ; comment ne pas apprécier qu’il soit exigé que l’Etat ne se désintéresse pas financièrement du musée du quai Branly – Jacques Chirac. Cependant le risque est une rupture de donation. Or la présence du risque est forte car l’imprécision de la formulation – contraire à l’exigence du droit – permet d’invoquer facilement la condition.

Nous faisons des hypothèses. Cette soumission au risque par l’affaiblissement du droit permet de développer, en dehors de procédures judiciaires, la fréquence de pourparlers contraints par l’appui solide d’avocats aux intérêts de Marc Ladreit de Lacharrière entre le ministère de la Culture et de la Communication et l’acteur privé. La mutation idéologique des pratiques du ministère est visée, sachant que, dans le contexte, Pierre Hanotaux, ancien chef du cabinet du ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand, travaille actuellement au service de Marc Ladreit de Lacharrière et qu’il fut favorable à l’expansion du secteur privé au sein de la fonction publique.

Supposons, aussi, (autre hypothèse) que le flou de la formulation vise à faciliter la rupture de la donation en vue de futurs gains financiers sur la vente de quelques œuvres. Encore, si des décisions gouvernementales, après les élections, modifie radicalement le ministère et ses acteurs, la rupture de la donation est possiblement un souhait de certains acteurs – le flou de la formulation des conditions de rupture permet de le réaliser plus facilement.

Parce que ces conditions n’étaient pas présentées au dossier du Conseil d’administration mais furent révélées suite aux questions des élus CGT représentants du personnel et du débat qui en suivit, nous souhaitons que le cabinet du ministre ou le secrétariat général du ministère sache informer le plus précisément possible les agents des conditions de la donation Marc Ladreit de Lacharrière aux collections nationales. Nous sommes prêts à croire que tous les agents du ministère puissent se sentir concernés.

Le champ du sujet est vaste ; une fois que l’information vous est donnée vous avez bien sûr votre jugement, mais, collègues du musée du quai Branly, retrouvons-nous sur une sensibilité commune ; un point ne fait-il pas l’unanimité assurément : l’intérêt que nous portons au département de la recherche de l’établissement. Affirmons que lui soit conservé un espace pour développer les projets dont il fait proposition à l’établissement – le lieu qu’il a jusqu’alors : la mezzanine “ouest” ! A la perdre, le département de la recherche risque de ne plus avoir d’espace définitivement. Obtenons au moins ceci : présentons les œuvres de la donation en mezzanine “est” où nous aurions encore largement possibilité pour des expositions. C’est ainsi que nous défendrons la place de la recherche en lien avec les collections. Le département de la recherche est actuellement mis à mal : nous aurons probablement prochainement à défendre les bourses des collections.

Les représentants du personnel CGT titulaires au Conseil d’administration de l’établissement La section CGT du musée du quai Branly – Jacques Chirac Le secrétaire général du syndicat national des musées et domaines CGT Culture