compte-rendu des débats au Sénat le 11 mai 2006 sur la politique d’archéologie préventive

Ce compte-rendu est extrait des compte-rendus des débats du 11 mai 2006 mis en ligne sur le site du Sénat


Politique de l’archéologie préventive

Débat sur un rapport d’information

(Ordre du jour réservé)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle un débat sur le rapport d’information de M. Yann Gaillard sur la politique de l’archéologie préventive (n° 440, 2004-2005).

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, auteur du rapport d’information sur la politique de l’archéologie préventive. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de l’archéologie préventive a déjà donné lieu à de nombreux débats au sein de notre hémicycle, que ce soit lors de l’examen des projets de lois de finances ou lors de la discussion de dispositions législatives relatives à la redevance d’archéologie préventive.

Dans un contexte de mécontentement des élus locaux et de multiplication du nombre des cas aberrants, cas dans lesquels le montant de la redevance était très largement supérieur au coût du projet d’aménagement envisagé, j’ai mis en oeuvre, en 2004, en ma qualité de rapporteur spécial des crédits de la mission Culture, un contrôle sur le financement de l’archéologie préventive.

En 2004 et en 2005, ce contrôle m’a conduit à procéder à de très nombreuses auditions, à des déplacements en province et à l’étranger – en Italie et au Royaume-Uni -, afin de visiter des chantiers, de dresser des diagnostics et de rencontrer les services prescripteurs, en l’occurrence les DRAC, les directions régionales des affaires culturelles, et les services chargés de la liquidation de la redevance, à savoir les DRAC et les DDE, les directions départementales de l’équipement.

Je précise que ce contrôle a été réalisé avec l’assistance d’un magistrat de la Cour des comptes, selon la procédure prévue par l’article 58 de la LOLF – cette loi organique relative aux lois de finances que nous vénérons tous ! -, dont c’était la première application, ce qui me remplit de fierté.

Les conclusions du rapport d’information intitulé « Pour une politique volontariste de l’archéologie préventive » ont été adoptées à l’unanimité par la commission des finances le 29 juin 2005. À cette occasion, il a été décidé de donner suite à ce rapport, en lui consacrant une séance réservée de l’ordre du jour des travaux de notre assemblée : nous y sommes.

Les réponses que vous voudrez donc bien apporter à mes questions, monsieur le ministre, sont attendues depuis presque un an, ce qui explique l’attention toute particulière que nous leur porterons.

L’archéologie préventive pose un problème qui pourrait presque être qualifié d’irritant. Elle ne concerne grosso modo que 1 700 agents et son budget ne s’élève qu’à 100 millions d’euros environ. Elle n’en a pas moins mobilisé trois inspections générales en trois ans – finances, intérieur et culture -, une société de conseil dénommée Conjuguer, qui a rédigé un rapport, et une nouvelle mission interministérielle, qui a rendu son rapport tout récemment, dans le cadre des audits de modernisation lancés par M. Jean-François Copé.

Fait plus troublant encore : en 2001, 2003 et en 2004, après avoir connu une longue stabilité dans un régime associatif, celui de l’Association pour les fouilles archéologiques nationales, l’AFAN, née en 1973, on s’est senti obligé de revenir sur le sujet, sans pour autant l’épuiser puisque nous voici obligés d’en reparler encore.

Pourquoi tant de peine et si peu de succès ? En raison, me semble-t-il, d’une erreur stratégique, celle qui a été commise en 2001, avec la création d’un établissement public national. C’était en quelque sorte un compendium du système français : absence de concertation entre les ministères, lourdeurs administratives, redevance complexe et mal perçue, contestations des élus, inquiétudes des personnels.

Le mauvais tournant est alors pris. Au lieu de continuer à négocier avec les aménageurs et de décentraliser l’association ou l’organisme lui succédant, on crée un double système de redevance, finançant, d’une part, le diagnostic et, d’autre part, la fouille. Les prescriptions de recherches archéologiques préventives augmentent de manière exponentielle. Les communes se révoltent. La redevance ne rentre pas.

En 2004, à l’occasion de la discussion de la loi du 9 août relative au soutien à la consommation et à l’investissement, dite quelquefois « loi Sarkozy », est adopté un nouveau régime qui a le mérite de tenter d’approcher de plus près la réalité physique des travaux.

Les travaux relevant du code de l’urbanisme sont taxés sur la base de la surface hors oeuvre nette, la SHON, à laquelle sont appliqués les taux de la taxe locale d’équipement, la TLE, laquelle serait d’ailleurs, dit-on à mots couverts, remise en question dans certains cercles administratifs, ce qui nous entraînerait encore dans une nouvelle aventure. La redevance est alors liquidée par les DDE.

Les travaux soumis à étude d’impact ou à autorisation administrative préalable restent, comme auparavant, taxés sur la base de l’emprise au sol, à savoir 0,32 euro par mètre carré. La redevance est alors liquidée par les DRAC.

En fait, l’ensemble du sujet est désormais divisé fiscalement et administrativement en deux catégories. Même si ce n’est pas la seule cause, cette décision est à l’origine de la crise financière qui n’a cessé d’accabler l’archéologie préventive française.

Rappelons que le produit de la redevance d’archéologie préventive devait être compris, en 2004, entre 70 millions et 80 millions d’euros, d’après les estimations fournies au législateur lors de l’examen de la loi du 9 août 2004. Les DRAC auraient dû traiter 20 % des dossiers de diagnostic et recouvrer 80 % du produit de la redevance, les DDE devant traiter 80 % des dossiers et recouvrer 20 % du produit de la redevance.

Les changements incessants de législation ont contribué à retarder la mise au point d’un logiciel permettant aux DRAC de liquider la redevance sur les opérations relevant du code de l’environnement. Et il n’est pas exclu que les difficultés qu’elles ont rencontrées aient pu aussi démobiliser les DDE, réputées pourtant plus aguerries sur la partie du dossier relevant de leur compétence.

Une même différence a été constatée en 2005 entre la prévision budgétaire de recettes, soit 19,7 millions d’euros, c’est-à-dire 30 % des 60 millions d’euros estimés pour le produit de la redevance, et la réalité des encaissements, qui n’ont atteint que 0,7 million d’euros.

Le rapport demandé par le ministère de la culture à la société Conjuguer a évalué le potentiel fiscal de la redevance d’archéologie préventive, la RAP, à 52,7 millions d’euros, soit un rendement net de 43 millions d’euros. L’INRAP, l’Institut national de recherches archéologiques préventives, estime que son besoin de financement> est de l’ordre de 65 millions d’euros. Il manquerait donc, chaque année, entre 17 millions et 23 millions d’euros.

Aux difficultés de perception de la redevance s’ajoute .

Cet établissement public n’a pas tiré les conséquences de l’ouverture du marché des fouilles à de nouveaux concurrents agréés : services archéologiques des collectivités locales et entreprises. Or quarante-deux agréments ont été accordés par le ministre, dont une dizaine au profit d’entreprises.

révèlent des contradictions et des obscurités, en dépit desquels on peut inférer les constatations suivantes.

Les effectifs ont connu une augmentation régulière : 1 585 équivalents temps plein étaient inscrits au budget prévisionnel pour 2002, 1 594 au budget prévisionnel pour 2003 et 1 753 au budget prévisionnel pour 2005.

Le nombre réel de personnes physiques constaté en moyenne annuelle au 31 décembre s’est accru sur le moyen terme : 1 686 en 2002, 1 553 en 2003 et 1 749 en 2004. La moyenne annuelle des effectifs de l’AFAN était de 1 498, dont 1 291 CDI et 207 CDD.

étaient de près de 65 millions d’euros, soit 56,7 % des 114,705 millions d’euros de dépenses prévues. Les dépenses de personnel étaient de 53,21 millions d’euros en 2003 et de 48 millions d’euros en 2002.

Il a alors été recouru <à des mesures d'urgence pour garantir le financement de l'INRAP>.

En 2002, son déficit constaté a atteint 11,5 millions d’euros, malgré une avance remboursable du Trésor de 23 millions d’euros.

En 2003, un accord d’autoassurance a été passé entre le ministère de la culture et le ministère des finances. En contrepartie de l’absence de gels de crédits et de mesures d’économies budgétaires, le ministère de la culture s’est engagé à financer par . Conformément à cette attente, le ministre de la culture a comblé le déficit de l’exercice 2003, se montant à 27,5 millions d’euros.

En 2004, la subvention du ministère de la culture s’est élevée à 11,5 millions d’euros, afin de compenser le déficit antérieur – les reliquats de 2002 et de 2003 -, sans que soit prévu le financement du déficit de l’exercice 2004, qui a atteint 12 millions d’euros.

En 2005, après un arbitrage ministériel, l’avance de trésorerie de 23 millions d’euros a été transformée en prêt du Trésor. Elle sera remboursée sur trois ans, chaque remboursement étant compensé par une subvention spéciale du ministère de la culture…

Compte tenu de cette situation, la commission des finances a alors formulé plusieurs recommandations, adoptées à l’unanimité.

Premièrement, elle a préconisé de renoncer à une nouvelle réforme de la redevance d’archéologie préventive et d’améliorer sa liquidation et son recouvrement : surtout pas d’autre loi !

Deuxièmement, elle a préconisé de surveiller strictement , dont il convient de préciser qu’il est géré, en dépit de ces difficultés, par un président et une directrice dont je ne conteste ni la compétence ni la valeur.

Troisièmement, elle a préconisé de restreindre les diagnostics, sur la base d’une politique scientifique de l’archéologie préventive, définie au niveau national par le Conseil national de la recherche archéologique, le CNRA, et, surtout, par les commissions interrégionales de la recherche archéologique, les CIRA, qui ne sont pas toujours d’accord entre elles. En effet, le monde de l’archéologie, comme bien d’autres en France, est divisé en écoles.

Le principe de base de cette nouvelle politique archéologique devra être le suivant, comme le déclare le directeur de l’architecture et du patrimoine : « La recherche archéologique ne présente un intérêt par rapport à la préservation des vestiges archéologiques que si elle permet de valider ou d’infirmer une hypothèse historique technique ou scientifique nouvelle. L’archéologie doit être définie au préalable et non relever d’une politique du coup par coup, remise en cause à l’occasion de chaque nouveau chantier. »

Quatrièmement, notre commission a préconisé de développer la pertinence de la carte archéologique, comme c’est le cas en Italie, avec des résultats probants. Cette carte est prévue par la loi du 17 janvier 2001 et quatre-vingts personnes issues de l’AFAN et recrutées par la DAPA y travaillent. Votre rapporteur spécial a pu voir quelques projections d’une carte archéologique nationale encore embryonnaire au cours d’une démonstration organisée à son attention par le ministère de la culture. Le développement de cette carte est indispensable à la mise en place d’une politique volontariste de l’archéologie préventive en France.

Cinquièmement, elle a préconisé de favoriser qui en font la demande.

Compte tenu du mouvement d’inquiétude générale auquel j’ai déjà fait allusion et à la suite de ces recommandations, des avancées encourageantes ont été enregistrées, même si de nombreuses questions demeurent sans réponse.

Des engagements de deux ordres ont été pris devant votre rapporteur spécial lors d’une réunion qui s’est tenue le 24 mai 2005 au ministère de la culture, en présence du directeur de l’architecture et du patrimoine.

Ce dernier a entendu mettre en avant l’accroissement des rentrées fiscales, à système juridique inchangé. Il a annoncé l’installation, à cet effet, dès mai 2005, d’un logiciel adapté dans les DRAC, la nomination de responsables de la redevance au sein de celles-ci, des actions de formation du personnel et la publication de deux circulaires relatives aux aménagements relevant du code de l’urbanisme, d’une part, et aux infrastructures linéaires, d’autre part.

Le directeur de la DAPA s’est en outre engagé à favoriser la mise en place d’une politique archéologique volontariste, fondée sur des critères scientifiques – si elle n’était fondée que sur des critères financiers, elle serait considérée comme illégitime – et impliquant le CNRA et, surtout, les CIRA.

Ces engagements semblent en voie d’être concrétisés, comme en témoignent les informations qui m’ont été communiquées à l’occasion de ce débat.

Le logiciel informatique annoncé a été mis en place dans les DRAC en juin 2005. Il a été adapté et permet un suivi précis de la liquidation de la redevance incombant aux services du ministère de la culture.

Toutes les DRAC ont nommé deux personnes responsables de la redevance d’archéologie préventive : un agent des services généraux et un agent du service régional de l’archéologie.

La formation du personnel des DRAC a été améliorée, les circulaires attendues ont été publiées et le nombre d’opérateurs agréés est passé de quarante-deux à cinquante-quatre.

La redevance d’archéologie préventive est, selon la direction générale de la comptabilité publique, mieux recouvrée. Le taux de recouvrement, qui n’était que de 29,3 % en 2004, est passé, en cumulé, à 46,2 % en 2005 et, pour les années 2004, 2005 et 2006, à 59,2 % en 2006, toujours en cumulé : le progrès est notable.

Si l’on peut se féliciter de cette évolution, plusieurs questions restent sans réponse.

Les CIRA et le CNRA ont-ils avancé, sous l’égide du ministère, dans la définition d’une politique nationale de l’archéologie préventive ? Comme l’écrit M. François Baratte, président du CNRA, dans le rapport remis au Parlement sur la mise en oeuvre de la loi du 17 janvier 2001, « il est ainsi du devoir du Conseil à la fois de proposer des règles pour le fonctionnement des procédures nouvelles, de tirer le bilan des recherches accomplies sur l’ensemble du territoire et d’ouvrir des perspectives de recherche. »

Dans quelle proportion le territoire français est-il désormais couvert, de façon opérationnelle, par la carte d’archéologie préventive ?

Le ministère a-t-il pris des mesures incitatives afin que créent, pourquoi pas, leur propre entreprise d’archéologie préventive et demandent à être agréés ?

a-t-il été renforcé, comme le recommandait votre rapporteur ?

Quelle a été, ?

Comment évoluent les délais des chantiers de diagnostic, qui sont un sujet de préoccupation réel et légitime pour les aménageurs et les collectivités territoriales ?

sont-elles désormais ventilées par nature afin de tracer clairement l’affectation des ressources aux missions qu’elles doivent financer, à savoir diagnostics, fouilles et recherche ?

Les délais de publication des rapports de recherche sont-ils respectés ?

Quelles mesures le ministère de la culture envisage-t-il de prendre pour améliorer le recouvrement de la redevance ?

s’est-elle améliorée ? Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2006, la commission des finances avait estimé que, compte tenu du ne pourrait pas être équilibré sans une subvention de l’État de l’ordre de 10 millions d’euros. Elle avait même présenté en ce sens un amendement « scélérat » (Sourires), qui avait reçu un avis défavorable du Gouvernement et que le Sénat n’avait pas adopté. Une fois de plus, la commission des affaires culturelles n’avait pas suivi ! (Nouveaux sourires.)

, s’inquiétait de l’évolution de la situation budgétaire et financière de l’institut.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous affirmer n’aura pas besoin en 2006 d’une subvention spéciale et qu’elle sera en état – ce serait un progrès inespéré – de rembourser l’avance de trésorerie, transformée en prêt du Trésor en 2005, qui lui a été consentie, et qui atteignait 23 millions d’euros ?

Certes, de réels progrès ont été faits dans la gestion de ce dossier difficile, qui concerne, de surcroît, des personnels passionnés, que j’ai eu l’occasion de rencontrer lors de mon contrôle et dont le travail très difficile et très fatigant doit être salué.

Le rapport de février 2006 remis au Parlement sur la mise en oeuvre de la loi du 17 janvier 2001 montre l’importance du travail accompli. Son tome II, notamment, présente des synthèses thématiques et géographiques des recherches effectuées – je pense notamment à la Picardie – et prouve que des enseignements essentiels peuvent être tirés de l’archéologie préventive.

Néanmoins, je relève une petite faute psychologique : il semble que l’établissement n’ait pas eu le réflexe d’essayer de trouver un chantier par département, pour satisfaire tous nos collègues. Je note quelques manifestations de déception à cet égard. Pour ma part, j’ai la chance de compter un chantier dans mon département. (Sourires.)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ah !

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. J’en reviens à nos préconisations fondamentales : améliorer le recouvrement- c’est en bonne voie – ; rationner le diagnostic – c’est difficile, car il faut que la motivation ne soit pas uniquement financière ; sinon elle serait rejetée par le milieu.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Rationner, rationner…

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cela veut dire « piloter » !

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. Je continue de regretter, monsieur le ministre, que vous n’ayez pas eu l’occasion de présider vous-même le CNRA pour lancer cette politique.

Il convient également de multiplier les intervenants susceptibles de procéder aux fouilles, afin que ne soit pas seul et qu’un chantier trouve toujours un opérateur, car rien n’est plus douloureux pour les aménageurs et rien n’est . C’est encore ce qui coûte le plus cher !

Enfin, il faut aussi que les Français apprennent à aimer l’archéologie.