Une ministre qui ne casse rien pour une RGPP qui casse tout

Comme tout le monde s’en est aperçu, la rue de Valois a vraiment choisi de mettre le paquet sur les célébrations du cinquantenaire du ministère de la culture.

Tous les responsables ministériels sont sur le pont car, on ne plaisante pas, cette opération ne doit connaître ni temps mort ni le moindre fléchissement dans la mobilisation des services. Christine Albanel, en personne, y veille avec la plus grande attention. Elle fait même preuve, en la circonstance, d’une capacité d’initiative et d’une habileté pour galvaniser le moral des troupes absolument hors du commun.

Ainsi vient-elle tout récemment de décider, à peine un mois après le lancement des festivités, de dévoiler aux représentants des personnels ce qui constituera, à ses dires, l’acte fondateur du nouveau ministère dernière génération, « rénové » et « modernisé » de fond en comble grâce à la RGPP : son projet de décret fixant la nouvelle organisation « renforcée » de l’administration centrale du ministère de la culture, dont l’entrée en application interviendrait durant l’été, … comme par hasard.

Ça y est donc ! Après de longs mois d’effort, la Ministre et ses équipes y sont enfin arrivées, … sur le papier du moins : supprimer 250 emplois en administration centrale (soit près de 17 % des effectifs) et, dans la foulée, la quasi totalité des actuelles directions et délégations, DAPA, DMF, DAF, DMDTS, DAP, DLL, DDAI. Rappelons que la manoeuvre n’est pas dénuée d’intérêt puisqu’elle permettra, accrochez-vous, de réduire les dépenses du ministère de 0,4 % tout au plus, alors même que le budget de la Culture ne représente qu’à peine 1 % du budget de l’État !!!

C’est au nom de ces gigantesques économies que Christine Albanel entend effacer d’un trait, et de manière totalement arbitraire , 50 ans de construction du ministère de la culture.
Quelle marque de considération, au passage, pour tous ceux qui, quel que soit leur rang, se sont pleinement investis dans cette aventure ambitieuse, et souvent tourmentée, qui a fait de la culture un grand service public et du modèle français une référence de par le monde !

C’est pour ce prix là que la Ministre s’apprête à démanteler les services, à abandonner toute une série de missions, à affaiblir dramatiquement des pans entiers de la politique culturelle de l’État et à éjecter sur la touche des femmes, des hommes et des compétences reconnues de tous.

Car, à qui veut-elle faire croire que de réduire à ce point la voilure sera sans conséquence à l’avenir sur la capacité à faire, à mettre en oeuvre et à développer les politiques dont notre ministère à la charge, des futures équipes drastiquement resserrées ? Revenons à la réalité !

Tout va bien, comme on le voit, rue de Valois. Ils ont raison sur tout, c’est la réalité qui se trompe !

Tout va bien, à l’image de l’inoubliable réunion de présentation aux organisations syndicales du projet de décret relatif aux missions et à l’organisation de l’administration centrale du ministère de la culture et de la communication – grand toilettage du ministère pour célébrer son cinquantenaire – convoquée jeudi dernier.

Compte tenu des enjeux, la séance avait été préparée et organisée avec un soin tout particulier : la Ministre, son cabinet, les trois préfigurateurs des futures directions générales et tous les actuels directeurs / délégués étaient absents. Seuls Guillaume Boudy, Secrétaire général, et Christophe Vallet, chargé de la préfiguration de la nouvelle inspection générale du ministère de la culture, avaient réussi à dégager deux ou trois heures sur leurs agendas pour venir à la rencontre des représentants des personnels. Qu’ils en soient dignement salués !

S’engage une description sommaire du texte par l’administration. Rien de franchement nouveau sous le soleil : Christine Albanel prévoit de créer 3 directions générales,

► la DG des patrimoines (Direction de l’architecture et du patrimoine + Direction des musées de France +Direction des Archives de France),

► la DG de la création artistique (Direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles + Délégation aux Arts plastiques),

► la DG des médias et des industries culturelles (Direction du livre et de la lecture + Direction du développement des médias),

► auxquelles s’ajoute un Secrétariat général (Direction de l’administration générale + Délégation au développement et aux affaires internationales).

Une confirmation importante au passage : l’actuelle Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), dont l’ensemble des agents se sont de longs mois mobilisés auprès du cabinet (accompagnés par l’intersyndicale au grand complet), faisant valoir de très forts arguments, n’est pas déstructurée. Comme quoi tout peut arriver ! Elle devient la DI(interministérielle)LFLF, directement rattachée au Ministre.

Enfin, l’article 8 du projet de décret stipule que la nouvelle organisation « entrera en vigueur au 1er juillet 2009 », mais le Secrétaire général du ministère, visiblement peu sûr de lui quant à d’éventuels « réajustements » qu’il resterait encore à faire, n’est pas vraiment catégorique sur ce point. La manoeuvre semble parfaitement maîtrisée de bout en bout, soyez rassurés !

Nous passerons ici sur toute la langue de bois qui nous fut une nouvelle fois servie s’agissant de l’indiscutable intérêt, pour le ministère de la culture, de la RGPP et de cette vaste réorganisation : une administration renforcée, plus moderne, une clarification des rôles de chacun, une coordination et une coopération plus fortes des actions et interventions de l’État, une plus grande mutualisation des compétences, et, le pompon, une meilleure lisibilité des politiques du ministère.

Il n’aura effectivement échappé à personne que de faire disparaître d’un seul coup, dans l’intitulé des futures directions, des notions – et donc des politiques – comme celle des Archives, des musées, du livre, pour ne citer que trois exemples, renforce considérablement la lisibilité de l’action de l’État en matière de culture.

Quant à l’architecture, cela dépasse l’entendement.
La réduire, de fait, aux simples enjeux patrimoniaux, au demeurant essentiels, c’est être profondément ignorant, pour ne pas dire étroitement réactionnaire. Christine Albanel a, paraît-il, l’oreille du Président de la République… mais l’inverse n’est visiblement pas vrai. Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas en effet déclaré, lors d’un important discours prononcé en septembre 2007 lors de l’inauguration de la Cité de l’architecture et du patrimoine : « L’architecture est au croisement des politiques : la culture, l’économie, l’urbanisme, le logement, l’environnement. C’est la raison pour laquelle, au moment où nos valeurs collectives sont menacées et où la compétition mondiale entre les territoires est à son comble, je souhaite donner une nouvelle ambition et un nouveau souffle créatif à la politique de l’architecture de notre pays. (…) L’architecture, c’est l’identité de notre pays pour les cinquante ans qui viennent. » Christine Albanel devait donc être passablement distraite durant cette allocution ! Nous ne sommes non plus pas prêts d’oublier les grandes assurances qui nous ont été données par l’administration quant au bon dimensionnement des structures de la future administration centrale au regard des missions qui leur seront demain confiées : « Nous avons tout particulièrement veillé à ce que cette organisation fonctionne à l’avenir, quand on aura moins de moyens ! ». Fermez le ban.

Qui perçoit donc encore un quelconque aspect positif dans la prétendue réforme aujourd’hui en cours ? Christine Albanel, comme l’ensemble du gouvernement, font chaque jour un peu plus la démonstration que leur seul credo est la casse brutale et sectaire de l’État.

Du 19 mars à l’été : quatre mois pour gagner Paris,

le 18 mars 2009