Retour sur le Comité technique ministériel du 12 novembre 2020…

Retour sur le Comité technique ministériel

du 12 novembre 2020…

…que nous ne sommes pas près d’oublier !

Une séance en mode dégradé et particulièrement difficile

Le Comité technique ministériel (CTM) relatif à l’examen du projet de décret d’organisation de l’administration centrale s’est finalement tenu le 12 novembre après avoir été boycotté par l’ensemble des organisations syndicales le 5 novembre. Les représentants du personnel avaient en effet estimé unanimement que la santé et la lutte contre la COVID-19 devaient passer avant une réforme administrative aussi importante soit-elle. Ils avaient également mis en garde contre le risque avéré d’une séance à distance, en mode dégradé, face à des enjeux d’organisation aussi complexes et déterminants pour l’avenir du ministère, les missions et les conditions de travail des agents.

La ministre et son cabinet ayant rejeté nos arguments justifiant une demande de report de l’instance à l’issue du confinement, la séance a donc eu lieu jeudi dernier dans des conditions particulièrement difficiles et dans un climat général parfois très tendu. Pendant près de 15 heures, et après avoir rappelé pour la énième fois que l’accompagnement social constituait l’un des points noirs de cette réforme, nous avons malgré tout défendu un à un et d’arrache-pied la quarantaine d’amendements présentés par la CGT en lien et en accord avec les secteurs concernés et adressés bien en amont au cabinet et à l’administration.

Le changement dans la continuité

Si certains de nos amendements visant à améliorer le texte autant que possible et à renforcer ou préserver des missions essentielles ont été repris, on peut néanmoins dire que la version du projet de décret résultant des débats du 12 novembre est en grande partie conforme aux grandes orientations arrêtées par Roselyne Bachelot-Narquin peu de temps après son arrivée rue de Valois et qui s’inscrivaient dans le droit fil de celles fixées par ses prédécesseurs et du fameux PTM.

Ceci est si vrai que, à quelques variantes près, tout ce que nous décrivions dans notre communication du 28 septembre dernier « Réorganisation de l’administration centrale : tout sauf une réformette ! » (compte rendu CGT de la réunion de présentation organisée par le cabinet de la ministre le 23 septembre 2020) est en passe de se réaliser via le texte d’ores et déjà transmis au secrétariat général du gouvernement.

Un secrétariat général hypertrophié, suite…

Ainsi, sans surprise, nous allons désormais tout droit vers un secrétariat général hypertrophié consacrant la fusion et le regroupement en son sein des fonctions dites « support » et s’assurant de missions dépassant parfois le cadre administratif qui devrait rester le sien pour empiéter un peu plus encore que précédemment sur le terrain politique.

Cette tendance lourde est pour le moins préoccupante. Elle pose au fond la question essentielle de la répartition et de l’équilibre des rôles et des forces entre le secrétariat général, les directions générales et le cabinet de la ministre. Elle interroge sur la nature des politiques publiques conduites par un ministère comme le nôtre, sur la transparence des décisions et leur élaboration démocratique.

Nous savons aussi que ce projet de long terme est l’instrument technocratique du délitement voire de la destruction de nombreuses missions opérationnelles et de la suppression programmée, encore et encore, de nombreux emplois.

Pour mémoire, l’administration centrale, qui fait aujourd’hui l’objet d’une énième séquence de réforme, aura perdu 281 emplois sur la période 2012-2019. Il est utile de rappeler également que ces 281 suppressions d’emplois sont venues s’ajouter au 249 imputables pour la période 2009-2012 aux conséquences de la RGPP. Il convient aussi de souligner que 50 emplois auront été détruits sur l’exercice 2020 tandis que 20 suppressions supplémentaires sont inscrites à l’exercice 2021. Soit, 600 destructions d’emplois sur un peu plus d’une décennie. Tout cela commence à faire beaucoup.

L’autorité politique et l’administration qui, de réforme en réforme, prétendent rénover, renforcer, moderniser l’administration centrale et ses services sont plus que jamais placées devant leurs contradictions. Au vrai, les moyens humains nécessaires à l’exercice des missions revisitées ou non sont notoirement insuffisants. Et c’est ce dont témoignent déjà les agents quotidiennement.

Des directions métiers recentrées sur leur expertise

Là encore, pas de changement significatif au regard de la présentation détaillée de la réforme par la directrice de cabinet aux organisations syndicales le 23 septembre dernier.

Les directions métiers devront faire le deuil de la plupart des fonctions « support » qui leur étaient rattachées sous l’effet du transfert opéré vers le secrétariat général sans avoir toutefois la garantie que leurs besoins concrets, nécessaires et indispensables au quotidien, seront assurés demain de façon satisfaisante.

C’est le cas s’agissant notamment des fonctions liées à la logistique, à la communication, à la documentation, à l’informatique et au numérique ou encore aux affaires internationales pour lesquelles de nombreuses questions restent en suspens et alors que le super secrétariat général n’a pas apporté la preuve de la plus-value qu’il apportait.

L’administration en contrepartie met en avant un renforcement de l’expertise métier des directions générales. On ne demande qu’à être convaincus.

La direction générale des patrimoines devenue la direction générale des patrimoines et de l’architecture (DGPA) pour assimiler pleinement les responsabilités et prérogatives qui sont les siennes dans ce domaine depuis plus de 10 ans maintenant devrait rapidement se doter d’une « délégation à l’inspection, à la recherche et à l’innovation » pour étoffer ses capacités stratégiques, d’analyse et d’anticipation, nous dit-on.

Dans le périmètre de la DGPA comme dans celui de l’ex-DGP, l’une des préoccupations majeures réside dans le projet de démantèlement des services à compétence nationale depuis longtemps dans les cartons et sur lequel Roselyne Bachelot-Narquin réserve son arbitrage de loin en loin. Les débats du CTM n’ont apporté aucun éclaircissement sur cette question qui, soit dit en passant, aura une influence considérable sur le devenir du service des musées de France pris dans l’étau de cette menace permanente et de celle, tout aussi dangereuse, de la fragilisation progressive du réseau des quelque 1240 musées de France sous le coup notamment du transfert de l’appellation Musée de France aux préfets.

La direction générale de la création artistique (DGCA) devrait pour sa part se doter d’une « sous-direction des politiques professionnelles et sociales des auteurs et des politiques de l’emploi ». La DGCA devrait ainsi assurer, pour le compte du ministère, une forme de chef-de-filat sur des problématiques sociales complexes revêtant des enjeux humains et professionnels considérables apparus avec une acuité nouvelle et dans toute leur gravité à la lumière de la crise du Coronavirus.

La direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) devrait quant à elle donner naissance à une « délégation aux entreprises culturelles » ; et à une « délégation à la régulation des plateformes numériques ».

La première de ces deux délégations s’intéressera comme annoncé depuis la rentrée aux enjeux de la filière des industries culturelles et créatives, pour le périmètre de la DGMIC à proprement parler mais également pour le compte du ministère, dans le cadre, là aussi, d’un chef-de-filat. 

La seconde aura une approche pluridisciplinaire et s’attachera à concilier liberté d’expression et régulation des contenus sur les réseaux sociaux. Elle aura également pour objectif de peser dans les réunions et négociations interministérielles au titre, là encore, d’une manière de chef-de-filat.

L’idée consistant à confier un chef-de-filat à des directions métiers sur des missions et des thématiques plus ou moins émergentes mais méritant sans aucun doute d’être développées et professionnalisées, comme c’est le cas en l’espèce pour la DGCA et la DGMIC, nous semble intéressante. Elle participe probablement d’une évolution positive.

Création d’une « délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle » : une confirmation et une nouveauté

Franck Riester en son temps avait arbitré en faveur de la création d’une entité susceptible de contribuer pour les enjeux transversaux au « réarmement intellectuel » du ministère, selon ses propres termes. Roselyne Bachelot-Narquin a rapidement confirmé cet arbitrage entériné par le projet de décret d’organisation de l’administration centrale.

La crise inédite qui touche le monde entier et qui n’épargne pas notre pays est venu bouleverser nos repères et bousculer nos certitudes. Paradoxalement, elle aura mis au jour pour notre ministère toute l’importance d’engager un virage conceptuel pour répondre aux réalités nouvelles et aux mutations profondes et accélérées de notre société.

Bien que l’essentiel reste probablement à bâtir dans la concrétude du travail réel et en synergie avec des directions métiers remaniées et un secrétariat général « étoffé », la création de cette délégation générale va, nous le pensons, dans ce sens.

La ministre a bien voulu reprendre à son compte deux de nos amendements qui à nos yeux n’ont rien d’anecdotiques et qui symbolisent une trajectoire revendicative : le premier porte sur le nom de la nouvelle délégation générale puisque celui-ci intègre désormais la notion de « démocratie culturelle » ; le second vise, s’agissant des attributions principales de cette nouvelle entité, à la reconnaissance et « au respect des droits culturels ».

Tutelle des opérateurs : des inquiétudes et des questionnements communs à toutes les directions générales et qui restent entiers

Dans tous les cas, les inquiétudes et les questionnements qui sont les nôtres depuis la RGPP sur la tutelle des opérateurs, les conditions de son exercice et les modalités de gouvernance adaptées ne sont absolument pas levés. On voit mal ce que la réforme propose pour enfin faire ministère dans un paysage composé de plus de 80 opérateurs relevant de champs disciplinaires et de statuts juridiques hétérogènes. Il y a fort à parier, hélas, que la ministre et son cabinet loupent une nouvelle occasion de repenser la conception même de la tutelle à l’aune de la cohérence des politiques culturelles, de l’intérêt général, et de coopérations repensées, vivifiantes, dynamiques et solidaires.

En toute hypothèse, ce n’est certainement pas en concentrant un peu plus cette responsabilité dans les mains du secrétariat général et en réduisant la focale aux questions budgétaires et comptables que l’on répondra au risque de fracturation du ministère.

Analyse des modèles économiques des secteurs et des opérateurs : un essai à transformer

S’il y a bien un domaine où, enfin, nous avons pu entrouvrir la porte du débat pourtant hermétiquement close depuis des années, c’est celui-ci. A force de persévérance et de détermination, nous sommes parvenus à faire inscrire cette dimension incontournable dans le projet de décret d’organisation de l’administration centrale.

On peut raisonnablement penser, sans naturellement s’en réjouir, que la pandémie de COVID-19 et ses conséquences économiques et sociales dramatiques pour le monde et les acteurs de la culture et de la création aura fini de lever cet interdit.

Comme l’indique le texte, le secrétariat général ainsi que l’ensemble des directions générales vont devoir s’atteler à ce dossier vital pour la pérennité de nos institutions et de nos opérateurs mais également, nous le savons, pour un pan entier de l’économie de notre pays et non des moindres.

Nous savons aussi qu’ouvrir enfin le débat sur les modèles économiques et leur nécessaire évolution, c’est accepter d’interroger et d’évaluer les politiques culturelles pour les repositionner et les transformer.

Par ailleurs, la bataille pour doter cette mission essentielle des moyens adaptés à l’ampleur de la tâche, et pour qu’elle se déploie en toute pluralité dans le cadre de travaux collaboratifs ne fait que commencer. En un mot comme en cent, il y a donc du pain sur la planche.

 

Nos votes, en résumé

Chacun des amendements présentés par les représentants du personnel a fait l’objet d’un vote. Nous nous sommes ensuite prononcés sur chacune des grandes parties du projet de décret.

Ainsi, la CGT-Culture a voté :

  • contre la partie relative au secrétariat général ;
  • s’est abstenue sur les parties relatives aux directions métiers et à la délégation générale à la langue française et aux langues de France ;
  • pour la partie relative à la création d’une nouvelle « délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle ».

Enfin, nous avons exprimé une abstention sur la totalité du projet de décret d’organisation de l’administration centrale.

Paris, le 18 novembre 2020