Pour Fleur Pellerin et Manuel Valls, la culture c’est la Bretagne aux bretons et la Bourgogne aux escargots

La délégation à la région Bretagne des missions du cinéma, du livre et du patrimoine culturel, jusqu’ici dévolues à la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) Bretagne, n’est pas simplement une mesure technico-technique d’application des lois Modernisation de l’Action Publique Territoriale et Affirmation des Métropoles (MAPTAM) et Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe).

Cette décision est une décision politique lourde de conséquences. Elle interroge en profondeur le modèle culturel français et son organisation. Elle interroge tout particulièrement les équilibres complexes et fragiles entre l’Etat et les collectivités territoriales dans leur intervention complémentaire pour le développement de la culture et le soutien à la création.

Notre pays est riche de la diversité de ses territoires et de la diversité des cultures qu’il a su accueillir au fil de son histoire. Le dialogue et la rencontre des cultures pour être parfois compliqués n’en sont pas moins indispensables à la construction sereine d’une société libre, ouverte au monde et au renouveau de son imaginaire. Mais notre pays peut aussi s’enorgueillir d’avoir voulu assurer une égalité de droit et d’accès à la culture à toutes et à tous sur l’ensemble du territoire. C’est là le fondement même de cette idée extraordinairement moderne : celle d’un service public de la culture.

La région Bretagne a donc émis le souhait de prendre à son compte et sous sa responsabilité les politiques du livre, du cinéma et du patrimoine culturel. Le gouvernement et notre ministre particulièrement ne s’y sont pas opposés. Ce sont pourtant des missions essentielles et des plus structurantes qui vont quitter une DRAC sous la menace, peu ou prou comme toutes les autres, d’une réforme territoriale brutale, menée au pas de charge ; une réforme, une de plus, tournée contre l’emploi public, l’influence et l’engagement de l’Etat.

Ce qui frappe les esprits et qui choque les professionnels et les personnels, mais aussi les citoyens dans ce train de réformes et dans cette délégation, c’est le déficit de démocratie, la confiscation du débat, la pauvreté et l’archaïsme des arguments servis.

Quand aurons-nous parlé, avec qui, de l’intérêt à agir ainsi pour le conseil régional de Bretagne et pour l’Etat et le ministère de la culture. Nous ne savons pas ou si peu ce que portent les élus bretons. Nous attendons encore que la ministre présente un projet digne de ce nom pour le moyen et le long terme. Nous sommes en droit d’attendre que celles et ceux qui décident se décident enfin à porter le regard au-delà de considérations court-termistes et politiciennes.

Dans une période qui voit le retour en force des idéologies identitaires, sectaires et xénophobes, le gouvernement et les pouvoirs publics ont le devoir de préserver la cohésion nationale et l’équité de tous les citoyens. Nous voulons alerter contre le risque, et il est grand, de favoriser une culture à la carte, porteuse de replis et de reculs sociaux et sociétaux. Nous voulons alerter contre le risque, et il est grand, d’éclatement et pour finir de destruction du service public. Ce service public, qui certes doit se perfectionner et se renforcer, mais qui permet de rassembler et de faire société, progrès et confiance dans l’avenir.

Il est inacceptable que dans le cadre d’une réforme territoriale et des services déconcentrés d’une ampleur inconnue depuis la création des DRAC en 1977, la ministre ne dise pas un mot sur le rôle irremplaçable que l’Etat doit continuer de jouer dans tous les territoires. Fleur Pellerin et Manuel Valls ont en quelque sorte ouvert une grande braderie des missions du ministère de la culture et chacun est invité à se servir. C’est une faute politique très grave pour l’avenir des politiques publiques culturelles dans notre pays.

Circonstance aggravante et accroc supplémentaire à la démocratie sociale : alors que nous avons demandé qu’un représentant du conseil régional de Bretagne soit invité ce jour en séance du CT-M pour échanger sur cette question fondamentale qui nous traverse tous, force est de constater que nul ne s’est déplacé pour en débattre.

Les questions de la Bretagne et des bretons nous intéressent au plus haut point. Cette altérité-là vaut d’ailleurs autant que celle de chacun des territoires qui composent la République. Or c’est justement parce que toutes ces aspirations doivent être entendues que l’Etat doit rester présent dans tous les territoires et pas seulement dans les territoires et/ou circonscriptions administratifs. La situation exige que l’Etat soit effectivement présent et déploie des politiques culturelles et éducatives dans les grandes métropoles comme dans les villes moyennes, les campagnes et les zones périurbaines, dans les quartiers dits difficiles et délaissés. On ne sait que trop ce qu’engendre le sentiment de déclassement et d’abandon, la pauvreté et le désespoir.

Non seulement nous ne pouvons pas nous résoudre au désengagement de l’Etat et à ses renoncements mais nous réaffirmons toute la modernité et la dimension vitale pour la démocratie d’un service public qui associe l’Etat, tous ses services et les collectivités territoriales. Nous persistons à défendre l’idée force de partenariats public-public au service de toutes les populations sans exception. La politique du toujours moins d’Etat devient bientôt la politique du pire.

A l’inverse, la CGT, elle, revendique la co-construction de politiques publiques qui conjuguent démocratie sociale et démocratie culturelle.

La situation délicate que nous connaissons et dont souffrent nombre de nos concitoyens appelle plus et mieux d’Etat, en Bretagne comme partout en France métropolitaine et dans les départements et territoires d’outre-mer.

Paris, le 28 septembre 2015