MUSEES NATIONAUX : bref état des lieux et conséquences prévisibles du projet d’AP 2022 sur les publics et sur les conditions de travail.

MUSEES NATIONAUX : bref état des lieux et conséquences prévisibles du projet d’AP 2022 sur les publics et sur les conditions de travail.

En tout premier propos il est indispensable d’exposer un bref état des lieux de la situation des
musées, non seulement en terme de conditions de travail mais aussi sur les conséquences
désastreuses pour les usagers du service public muséal.

Aujourd’hui les Musées Nationaux sous tutelle du Ministère de la Culture sont au nombre d’un peu
plus d’une quarantaine. De statuts divers (Établissements Publics administratifs, Services à
Compétence Nationale, Établissements Publics à caractère Industriel et Commercial, Associations,
Fondations, Société Anonyme…) ils doivent théoriquement appliquer une politique culturelle
homogène initiée et dynamisée par le Service des Musées de France et la Direction Générale des
Patrimoines afin notamment de « rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres capitales de
l’humanité (…) » (cf Décret n° 2017-1077 du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre de la
culture ).

Pour reprendre les termes de la présentation du SMF sur leur site internet, « Les publics sont les
premiers destinataires de ces efforts de mise à niveau de l’existant, de diffusion des collections et de
la recherche qui les rend accessibles et compréhensibles. »

Or aujourd’hui, de vœu pieux, cette déclaration est devenue une vaste imposture !

Les politiques successives de coupes budgétaires et la transformation des structures en
Établissements Publics Administratifs ont dès le début des années 90 réduit les moyens humains et
financiers de fonctionnement de l’ensemble du réseau des musées et très sérieusement entamé la
garantie de l’accès aux collections et de leur diffusion.

Concrètement comment cela se passe-t-il ?

Tout passe par la création statutaire d’un conseil d’administration qui permet à ces établissements
une grande part d’autonomie, et ainsi de pouvoir déroger sans difficulté à leurs obligations et aux
directives du Ministère lui-même. Ainsi l’obligation d’assurer une accessibilité au plus grand nombre
n’est pas respectée dès lors qu’il vote des tarifications en croissance exponentielle. A titre
d’exemple Versailles se distingue : au moment du passage à l’Euro l’entrée pour un adulte était de
7,5€, aujourd’hui un adulte qui souhaite visiter le site un week-end d’été en aura pour 27€ pour la
journée, les jardins étant en Grandes Eaux Musicales.

Autre problème majeur : le visiteur se déplaçant dans un musée ne le sait pas, mais la plupart du
temps, par manque de personnel, beaucoup de salles sont fermées à la visite. La RGPP a frappé très
fort dans la filière d’accueil et de surveillance des musées comme partout au ministère de la culture.
Les conséquences directes sont que le public paye le même prix d’entrée sans voir tout ce à quoi
il serait en droit de visiter. Par ailleurs les Établissements Publics dérogent en toute impunité aux
décisions ministérielles telles que la gratuité les premiers dimanches du mois, qui n’est appliquée
que pendant 5 mois dans certains musées alors que la mesure est censée s’étendre toute l’année.
Comment peut-on dès lors se prévaloir d’un accès à toutes les collections pour toutes et tous ?

Sur l’externalisation des missions de service publics au sein des musées.

Le manque de moyens financier et humain (notamment le sous-effectif permanent dans toutes les
filières du Ministère de la Culture et entretenu par la DGPat) conduit inexorablement à ne pas
pouvoir assurer la totalité des missions de services public. C’est donc à des choix cornéliens que
les directions des musées doivent faire face quotidiennement. Tout ce qui peut-être sous-traité à
des entreprises privées est alors passé au crible : d’abord le ménage, les vestiaires, les toilettes, et
ensuite viennent les missions touchant à l’entretien et la surveillance des collections, pour arriver
aujourd’hui à devoir même assurer le récolement décennal (c’est-à-dire la vérification même de
l’intégrité des collections nationales incessibles et inaliénables !) par des entreprises extérieures !
Nous soulignons ici la faille de sécurisation des collections lorsqu’on demande la vérification d’un
inventaire par des entreprises privées qui ont pour vocation de faire du profit et non de rendre des
services publics non lucratifs !

Qui dit externalisation dit aussi précarisation. En effet il n’est pas besoin d’être un génie pour
comprendre que les entreprises qui répondent aux appels d’offre des marchés publics serrent les prix
afin de pouvoir décrocher le marché qui dure le plus souvent pendant 3 ans. Cette mise en
concurrence s’accompagne bien évidemment de conditions de travail et de salaires déplorables
et qui bien souvent ne respectent pas le code du travail, et en embauchant des personnes parmi
les plus précaires de la société. Aucune déontologie en la matière n’est exigée par les musées
commanditaires, malgré une charte du ministère qui est censée jouer les garde-fou.

Enfin dernier point et non des moindres : l’externalisation de services publics coûte plus cher
que lorsque les missions sont assurées par des personnels titulaires de la Fonction Publique.
Cette évidence démontrée depuis des décennies n’empêche pas la ministre de soutenir le contraire en
toute impunité et sans aucun scrupules, comptant bien évidemment sur la crédulité et sur la
confiance de son auditoire : comment la ministre de la Culture pourrait-elle mentir ?!

Résumons donc les conséquences de l’externalisation des missions de service public dans les
musées: plus coûteux, moins sécurisé, moins fiable et plus précarisant, RIEN, absolument RIEN,
ne plaide pour l’externalisation des missions de service public muséal !

Sur le piège du mécénat

Tous les Musées sont aujourd’hui à la recherche de ressources propres pour faire face à leurs
dépenses. Cela prend plusieurs formes, parmi lesquelles il faut souligner la part de lion que se taille
le mécénat d’entreprise. En effet, la mesure de défiscalisation importante qu’entraîne la possibilité
pour les entreprises de mécéner une restauration ou des travaux dans un musée est triplement
pervers : d’abord parce qu’elle accroît au fil du temps le désengagement de l’État en supprimant
les moyens financiers d’une année sur l’autre en réduisant drastiquement les subventions,
d’autre part en permettant aux entreprises de ne pas payer leurs impôts, et enfin en privatisant
l’espace public au bénéfice des entreprises lorsqu’elles négocient dans leur convention de mécénat
des clauses leur permettant d’organiser des soirées privées pour leurs personnels.

C’est ainsi que l’on voit apparaître des logos de multinationales au gré des visites des différents
musées, a fortiori des plus convoités : un logo de la Caisse d’Epargne sous la pyramide du Louvre,
un logo de Vinci à l’entrée de la Galerie des Glaces à Versailles…

C’est ainsi qu’au titre des « personnalités » ayant contribué à acquérir des « trésors nationaux » dans
les collections par leurs moyens financiers, des grands patrons ou leurs femmes siègent aux
conseils d’administration des établissements (Mme Pinault siège au Conseil d’administration de
Versailles depuis 12 ans et a voix au chapitre sur la politique culturelle de l’établissement public !).
Autre effet désastreux de cette recherche de ressource propre : les musées en viennent à se faire
concurrence entre eux. C’est la course (voire la cour !) aux mécènes, à tel point que les
établissements créent des services entiers pour s’y consacrer, plutôt que de recruter des personnels
pour récoler les collections nationales ou ouvrir davantage d’espaces de visite. Tout est bon pour
trouver le poisson, même à accepter des conditions qui dépossèdent les établissements (et donc
les visiteurs !) d’espaces publics à des fins privatives, aussi bien en terme de mécénat qu’au titre
de dation ou de donation (donation Marc Ladreit de Lacharrière au Musée du Quai Branly, donation
Philippe Meyer au musée d’Orsay )

Sur la détérioration du patrimoine mobilier et immobilier des musées, sur les collections nationales.

On en parle peu, mais un des problèmes majeurs que génère le manque de moyens financiers est la
détérioration des collections. Les bâtiments historiques ne sont pas suffisamment entretenus par
manque de moyens, sachant en plus que tous travaux sur des bâtiments historiques engage des
dépenses énormes du fait des coûts de restauration. On constate inévitablement des profondes et
multiples altérations des structures immobilières (et mobilières), jusqu’à pour certaines un
effondrement du bâtiment, qui demande une dépense astronomique pour pouvoir le restaurer ou le
réhabiliter, prétexte à la recherche de mécène puisque les établissements et le ministère n’ont pas les
moyens financiers de faire face à ces dépenses et la boucle est bouclée.

Une autre conséquence est qu‘on fait voyager des œuvres « star » dans des expositions
moyennant dédommagement sous forme de restauration ou même sous forme financière, une
sorte de « location », et qui permettent aux musées d’accroître leurs ressources de manière
substantielle en s’exonérant de toute déontologie en la matière. Il faut en effet savoir que
certaines des œuvres « prêtées » ne sont pas en état d’être transportées voire même ne doivent
pas quitter le sol national ! Mais que ne faut-il pas pour obtenir quelque aumône !

Quelles sont les conséquences prévisibles et désastreuses sur les musées nationaux si AP 2022 est mis en œuvre ?

Tout le monde l’aura compris, les situations décrites plus haut vont bien évidemment s’aggraver à
tous les niveaux si le gouvernement et notre Ministre mettent en œuvre leur projet AP 2022.

Ce qui est prévisible pour les visiteurs c’est une augmentation des tarifs de droit d’entrée et un
abandon des multiples gratuités pour des publics trop souvent éloignés des musées. Prétendre le
contraire est un mensonge. Le projet de Françoise Nyssen n’est pas de rendre plus accessible les
collections, mais bien d’éloigner et de laisser à la porte les usagers qui en ont pourtant le plus
besoin. Leur projet est de rendre la culture élitiste, de permettre une culture de classe, une culture
pour les riches et ils sont déjà en bonne voie d’y parvenir.

Ce qui est prévisible, et la Ministre ne s’en cache pas, c’est que des pans entiers de missions de
services publics passeront dans les mains du privé, ce qui générera des dépenses bien plus
conséquentes et permettra à terme de donner le service public culturel muséal en gestion à des
opérateurs privés et d’en exploiter les collections à des fins purement lucratives, et pourquoi pas
spéculatives. Toutes les dérives seront dès lors permises, comme il en est pour le Château de
Chantilly, possession de l’Institut de France, donné en gestion et en entretien et restauration pour 20
ans à l’Aga Khan !

Ce qui est prévisible, c’est que le réseau des musées nationaux éclatera et que la concurrence
entre eux s’accroîtra. Aucun gain collectif pour les musées et domaines n’est à attendre de la
recherche forcenée de ressources propres par établissement.

Le projet AP 2022 ciblant tout particulièrement la filière de l’accueil et de la surveillance (mais à
terme aussi tous les métiers) afin de permettre une privatisation de pans entiers des missions de
services publics très diverses que remplit ce corps de métier spécifique au Ministère de la Culture,
ce qui est prévisible, c’est que les conditions de travail vont se détériorer pour les employés des
entreprises privées mais aussi pour les fonctionnaires titulaires, mettant les uns en concurrence
avec les autres. Ce qui est prévisible, c’est que les salaires et les primes vont baisser. Ce qui est
plus que certain, c’est que la stabilité de l’emploi va de toute évidence disparaître...

Aucune amélioration des conditions de visite ne peut non plus en découler, le métier spécifique
d’accueil et de surveillance n’ayant rien à voir avec le travail de vigiles ou de gardien de parking.

Il faut donc massivement nous mobiliser pour défendre ce auquel nous croyons. Un service public
culturel de qualité, un accès pour toutes et tous aux collections et au patrimoine de l’humanité,
le maintien de la recherche et de la diffusion autour de ce patrimoine, sa protection et son
entretien.

C’est d’abord à la CGT, mais aussi à chaque organisation syndicale de défendre l’égal accès à
toutes et tous aux collections nationales, et à chaque citoyen.e s’emparer de cette question cruciale
qui exige que nous ne sommes que dépositaires de ces témoignages qui sont partie intégrante de
l’histoire de l’humanité et que nous sommes responsables à la fois de leur bonne conservation, mais
aussi d’en garantir l’accès de la manière la plus large qui soit, sans aucune discrimination,
qu’elle soit de genre, d’âge, de peau, de religion ou de classe sociale !

Paris, le 18 juin 2018

Musees Nationaux etat des lieux et perspectives d-AP 2022