LETTRE OUVERTE A CHRISTINE ALBANEL

Les menaces des parlementaires sur une modification législative de la loi de 2003 relative aux délais de réalisation des opérations de fouilles se sont concrétisées début juillet 2008.
Elles interviennent dans un contexte archéologique extrêmement tendu où les préfets de région annoncent des procédures d’annulation de presciptions de diagnostics archéologiques alors que les moyens alloués à l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventves (INRAP) le laissent dans un embarras opérationnel réel.
L’heure n’est plus au rafistolage, mais à l’octroi, enfin, des moyens qui font aujourd’hui défaut à l’archéologie préventive. Le service public de l’archéologie nécessite une exigence opérationnelle et seule une efficience retrouvée lui permettra de renouer avec ses partenaires institutionnels dans une ambiance plus sereine.

Paris, le 7 juillet 2008

Nicolas Monquaut

Secrétaire général

à

Objet : Lettre ouverte

Madame Christine Albanel

Ministre de la Culture

3, rue de Valois

75 001 Paris

Madame la Ministre,

Au cours des derniers mois, des dernières semaines, et encore ces derniers jours, la CGT-Culture n’a cessé de prévenir votre Cabinet de la situation extrêmement critique de l’archéologie préventive.

Aujourd’hui, la réalité dépasse la fiction.

Vendredi 4 juillet, nous apprenions que des sénateurs avaient déposé un amendement relatif aux délais de réalisation des opérations de fouilles archéologiques lors de l’examen du projet de loi dite de modernisation de l’économie. Cette amendement avait pour objet d’instaurer une procédure « qui permette, passé un délai de deux mois à compter de la réception par l’opérateur de la demande d’un projet scientifique et passé un délai de six mois à compter de sa réception de la commande et en l’absence de réponse de l’Inrap, d’autoriser la collectivité à engager les travaux ».

Ainsi, cet amendement autorisait ni plus ni moins la destruction de très nombreux sites archéologiques en toute légalité sapant, d’un même coup, tous les fondements de l’archéologie préventive.

Sans attendre, nous avons interpellé votre Cabinet.

Fort heureusement, l’amendement a finalement été retiré, ce retrait n’étant intervenu officiellement que ce lundi 7 juillet vers 15 heures, quelques heures avant son examen prévu dans la soirée !

Bien avant ce malheureux épisode, et ce depuis plusieurs mois maintenant, la CGT-Culture avait maintes fois exprimé son souhait de vous rencontrer afin de vous exposer la situation de l’archéologie préventive dans le détail. Mais, mois après mois, vous avez, dans les faits, refusé une telle entrevue. Dès lors, votre Cabinet s’est exonéré de tout débat et de toute discussion avec les organisations syndicales et, chacun peut apprécier, à sa juste valeur, le médiocre résultat aujourd’hui de ce « choix politique ».

Le rappel de toute cette histoire est édifiant ; jugez-en par vous même .

Les préavis de grève déposés auprès de vous pour le 24 janvier, le 15 mai et le 10 juin n’ont fait l’objet d’aucune ouverture de négociation de la part de votre Cabinet et ce, en transgressant ouvertement la loi.

Par ailleurs, les nombreux appels téléphoniques, courriels, lettres ou encore communiqués de la CGT alertant le Cabinet sur des tensions très critiques dans des régions sont restés sans réponse de celui-ci, exceptés quelques « agacements » relatifs aux insistances de notre organisation syndicale, mais absolument rien sur le fond.

Est-ce là un fonctionnement normal dans votre ministère ?

Mais ce n’est pas tout. Cette surdité n’a d’égal que les manquements de votre Cabinet vis-à-vis de nombreux parlementaires légitimement soucieux de leurs territoires et de leur développement économique. En effet, la teneur des débats au Parlement est, depuis longtemps, sans ambiguïté sur les intentions de ces derniers.

Déjà en novembre 2007, il est question d’un « délai de traitement moyen des fouilles » dans la bouche du sénateur Gaillard. En avril 2008, c’est au tour du sénateur Legrendre de vous interroger sur la notion de conciliation entre les intérêts de l’aménagement du territoire et ceux de l’archéologie préventive, et non sur la notion d’antagonisme qui pourrait naître entre ces deux objets si rien n’est fait pour les délais d’attente des aménageurs.

Les nombreuses questions des parlementaires relatives à l’archéologie préventive et à la situation d’attente qu’ils connaissent dans leurs territoires ne trouvent que des réponses en décalage – dogmatiques par ailleurs – avec leurs réalités. En clair, le Cabinet s’embarrasse assez peu de la gravité des situations locales, ne répond en rien aux difficultés régionales, n’offre aucune solution rapide et pérenne aux principaux acteurs des territoires, si ce n’est, in fine, la voie de la modification législative.

De la même manière, les nombreux courriers des aménageurs qui arrivent au Cabinet restent lettres mortes. Or, par expérience, il n’est jamais bon en archéologie préventive, comme sur d’autres sujets d’ailleurs, de laisser ainsi les questionnements des parlementaires sans réponse concrète.

La stratégie du « ne rien faire » plonge aujourd’hui l’archéologie préventive, ses agents et ses missions dans le plus grand chaos.

Car, faute de moyens supplémentaires alloués à l’Inrap, il est à parier que les aménageurs continueront de déposer, un par un, des amendements au gré des projets de lois, pour voir les opérations archéologiques commencer au plus vite sur leurs territoires.

En conclusion, il est de votre responsabilité, Madame la Ministre, comme le stipule l’article L. 522-1 du Code du Patrimoine, de « veiller à la conciliation des exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement économique et social ».

En 2007, sous la pression des personnels, des solutions avait été esquissées par le Cabinet de Renaud Donnedieu de Vabres. Celles-ci avaient été agrémentées d’une allocation de moyens supplémentaires afin de faire fonctionner le dispositif.

Les personnels sont les premiers à subir le manque de moyens et tous les indicateurs relatifs aux conditions de travail sont aujourd’hui au rouge.

L’heure n’est plus au rafistolage, mais à l’octroi, enfin, des moyens qui font aujourd’hui défaut à l’archéologie préventive. Le service public de l’archéologie nécessite une exigence opérationnelle et seule une efficience retrouvée lui permettra de renouer avec ses partenaires institutionnels dans une ambiance plus sereine.

Compte tenu de l’extrême gravité de la situation, La CGT-Culture estime que vous devez, dans les heures ou jours qui viennent, recevoir personnellement, ou votre Directeur de Cabinet, les organisations syndicales ministérielles sur ce dossier.

Je vous prie de croire, Madame la Ministre, en l’expression de ma haute considération.

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