En 2023, la presse écrite et télévisuelle, nationale comme régionale, s’est fait l’écho de faits très inquiétants pour la liberté d’expression et de création : une dizaine d’associations culturelles, compagnies artistiques et médias de proximité se sont vu – sans raison autre que celle de déplaire au ministère de l’Intérieur – refuser des subventions par la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) Nouvelle-Aquitaine, alors que la qualité de leur travail était reconnue depuis de nombreuses années et leur activité soutenue.

Ces faits ont aussi donné lieu à des lettres ouvertes, des courriers d’alerte et à une note au directeur général de la création artistique du ministère de la Culture. Il s’avère que la mise en place du contrat d’engagement républicain par les services des Préfectures de région, en application de la loi du 24 août 2021 confortant le respect les principes le la République, dite aussi « loi contre le séparatisme », en est la cause. Les membres de ces structures culturelles sont jugés subversifs, pour leur proximité supposée avec certains mouvements écologiques ou idées d’extrême-gauche, au point que l’État a décidé de ne plus les subventionner. Mais comment cela se passe-t-il concrètement ?

Ça se passe comme ça en Nouvelle-Aquitaine

Dans toutes les régions de France, les associations déposent des demandes de subvention pour un ou plusieurs projets artistiques ou culturels relevant de différents dispositifs ministériels de politique culturelle. Leurs demandes sont instruites par les conseillères et conseillers des services créations et de l’action culturelle et territoriale, qui ce faisant remplissent leurs missions.

La programmation culturelle annuelle de la Drac est présentée en Préfecture de région et c’est là, qu’en Nouvelle-Aquitaine, ça bloque. Les préfets de département sont ensuite consultés pour valider également cette programmation. On passe donc de l’information à la décision, l’avis des préfets de département étant appliqué « sans filtre ». Pire, la Drac devance même ces desiderata en rencontrant 6 préfets de département (Corrèze, Creuse, Haute-Vienne, Deux-Sèvres, Vienne et Pyrénées-Atlantiques), ainsi que  l’établit un compte rendu de direction. La programmation du service des monuments historiques devrait suivre en 2024. Les préfets de département peuvent ainsi faire valoir leur volonté et leur décision sur des critères qui ne sont pas culturels, comme on l’imagine, mais bien sécuritaires, voire personnels.

Le préfet de région avalise et la Drac doit couvrir le tout en fournissant des raisons fallacieuses de refus de subvention aux demandeurs : la subvention est mentionnée comme « actuellement non disponible malgré un bilan profondément satisfaisant pour les années précédentes, malgré l’entière éligibilité du dossier en renouvellement et le très vif intérêt suscité auprès de nos équipes comme des partenaires de la DRAC sur le projet associatif porté par votre structure notamment dans ce champ de la médiation, j’ai le regret de vous faire savoir que ce projet n’a pas pu être retenu faute de crédits suffisants au regard des nombreuses demandes de subvention déposées en 2023 » ; ou seulement « crédits insuffisants au regard du nombre de dossiers déposés ». Les structures ne peuvent faire de recours juridiques car la « loi séparatisme » ni même une éventuelle infraction au contrat d’engagement républicain ne sont nullement invoqués. Ces structures ne connaissent pas non plus de procédures de dissolution.

Ces manœuvres discréditent, mettent en porte-à-faux et en souffrance les conseillères et conseillers ainsi désavoués, dont le travail perd tout sens et dontles valeurs de service public de la culture et de ses politiques nationales sont percutés.

Où en sont les politiques publiques de la création et de la démocratisation culturelle ?

Sur le fond, cette affaire soulève plusieurs problèmes :

– le non-respect des lois et principes qui constituent l’ADN du ministère de la Culture :  la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP), qui définit la liberté de la création comme principe premier, et le plan d’action pour la création « Mieux produire, mieux diffuser » de 2024, qui met justement en avant  la liberté et la diversité au cœur de la co-construction des politiques publiques culturelles avec les collectivités territoriales, sont tous deux bafoués.

le rôle de la direction de la Drac, qui, par servilité, ne défend plus les valeurs de liberté de création et de démocratie culturelle, et accepte de subir, quand elle ne le devance pas, le diktat des préfets de département, qui n’ont pourtant aucune prérogative en matière culturelle.

le rôle des préfets (donc du ministère de l’Intérieur) de plus en plus envahissant et discrétionnaire, qui instrumentalise la culture à des fins de maintien de l’ordre et de répression sociale. Cette vision sécuritaire de la culture n’est pas digne d’un État de droit et se rapproche des pratiques autoritaires d’un régime illibéral.

une ministre de la Culture complètement désavouée, dans ses déclarations les plus récentes sur la culture et la ruralité et sur la liberté d’expression des artistes (notamment sur France Inter le 31 janvier 2024 lors de la matinale), par un ministère de l’Intérieur qui fait du ministère de la Culture un sous-secrétariat d’État vassalisé.

Ce que défend le SNSD CGT-Culture

la liberté comme principe fondamental de la création artistique et de la diffusion culturelle,

une coordination des politiques publiques qui soit rattachée au Premier ministre et non plus au ministère de l’Intérieur,

la rédaction d’une Directive Nationale d’Orientation (DNO) pour les services déconcentrés qui réaffirme les missions et politiques culturelles nationales du ministère et qui soit un point d’appui pour résister à toutes les pressions,

le respect des expertises métier, en particulier celles des conseillères et conseillers qui mettent en œuvre ces politiques nationales,

le renforcement du corps des ICCEAAC (inspecteurs et conseillers de la création, des enseignements artistiques et de l’action culturelle)pour l’exercice de ces expertises,

– un retour à une procédure administrative non dérogatoire, où la culture relève du niveau régional et non départemental et est au service pour tous les citoyens.

Le 7 février 2024