La Culture en otage

Quand la promotion de « l’héritage culturel de la France »
masque la liquidation du réseau des musées de France et le désengagement accéléré de l’État

“On prend la culture en otage”

C’est ce qu’a déclaré, dans une formule forte et assez peu diplomatique le ministre de la
Culture, Frédéric Mitterrand, le 16 février, après que le gouvernement mexicain a annoncé
son retrait de l’organisation de l’Année du Mexique en France. “A partir du moment où ce
n’est plus une affaire de culture uniquement mais une affaire d’État”, a précisé M.
Mitterrand.

Cette réaction est cocasse quand on sait la haute importance qu’attache la rue de Valois à
l’organisation d’événements culturels à visée diplomatique, souvent sous le haut patronage
du président de la République : Louvre Abu Dhabi, expositions itinérantes de chefsd’oeuvre
en Asie et en Amérique, année France-Russie en 2010 (dont le volet Culture a
donné lieu à des incidents diplomatiques), etc.

Battre la campagne

Aujourd’hui, c’est par le président de la République française en pré-campagne que le
secteur de la Culture paraît pris en otage à des fins électoralistes, dans le but de séduire
notamment l’électorat situé à la droite de son camp politique.
Au Puy-en-Velay le 3 mars, Nicolas Sarkozy, accompagné de Frédéric Mitterrand, a loué
dans le patrimoine artistique « l’héritage de civilisation » qui fonde notre « identité »
nationale et révèle même notre « âme » nationale.

Cet hymne aux « racines » ancestrales de la France (qui seraient aussi celles de la
République laïque !) jouant la carte de « l’émotion » et du lyrisme (« transfiguration »,
« sublime ») conduit une fois de plus à fragmenter et diviser la société, à creuser les
clivages communautaires et tendre les lignes de fracture.

La CGT considère au contraire la Culture comme un puissant vecteur de partage fraternel
et d’émancipation des citoyens, dans toute la richesse de leur diversité. La culture, sans
cesse recréée par la société, nourrit l’être-ensemble, et le vivre-ensemble, dans un esprit
de tolérance et d’humanisme.

Le 25 janvier, Frédéric Mitterrand déclarait de son côté vouloir « faire de 2011 l’année de
la diversité pour notre Ministère ; prendre davantage en considération l’état réel de la
société française, sa créativité et son dynamisme, immense réservoir de talents et
d’ouverture au monde. »

A l’heure où l’État multiplie les conventions d’exploitation par des partenaires privés des
monuments historiques pour y installer des hôtels de luxe (quid alors de leur
« préservation »), Nicolas Sarkozy, en guide de relais et châteaux, ne cite que les
cathédrales, les hôtels particuliers et les palais. « Aucune de nos campagnes ne serait ce
qu’elle est sans les châteaux que les rois et les princes ont semé sur leur route comme
autant de témoignages de notre grandeur nationale. »

De villages ruraux traditionnels, de patrimoine populaire, d’architecture vernaculaire,
d’éco-musées, il n’est pas question. Seuls comptent les « grands hommes », détenteurs du
pouvoir.

C’est donc une relecture – réductrice et très orientée – de l’histoire et du patrimoine que
développe ici le chef de l’État.

Les musées : au service d’une promotion partisane de l’identité
nationale ?…

A entendre ce discours du Puy, il y a tout lieu de s’inquiéter pour la visibilité des collections
nationales d’arts et traditions populaires délocalisées à Marseille, au Musée des civilisations
de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM).

Il y a aussi de quoi s’alarmer de l’instrumentalisation des collections des 8 musées que le
gouvernement envisage d’intégrer au projet de « Maison de l’histoire de France ».
Leurs fonds seront des réservoirs où puiser des œuvres chargées d’illustrer un propos
idéologique sur les « racines de l’identité française », dans des expositions à l’arrière-plan
politique au moins autant que scientifique et culturel.

Ainsi, l’exposition « événement » de préfiguration de la Maison de l’histoire de France
présentera l’an prochain au Grand Palais les plans-reliefs Vauban en réserve aux Invalides,
avant qu’ils ne retournent dans leurs caisses. Pourquoi ne pas plutôt rénover et réhabiliter la
présentation permanente de ces plans-reliefs, aux Invalides ?

…et asservis à la dislocation du service public

Les 14 musées aujourd’hui sous statut de services à compétence nationale pourraient être
rattachés dès 2012 à des établissements publics, dont 8 à la Maison de l’histoire de France.
C’est ce qu’annonce le 5e Conseil de modernisation des politiques publiques, achevant de
briser le réseau des musées, et d’enterrer leur coopération mutualisée.

On sait ce que cela signifie, pour l’avoir observé – et vivement dénoncé – ces dernières
années :

 une OPA hostile des gros établissements sur les plus petits ;

 une accélération de l’autonomie (donc de la concurrence entre musées) ;

 une course effrénée aux ressources propres (donc aux diktats des parraineurs) ;

 le recours accru à l’externalisation (donc au moins-disant budgétaire, et social).

Que s’est-il passé récemment après la fusion/absorption qui devait favoriser le
développement des musées avalés par les établissements-stars ? :

 des espaces muséographiques utilisés comme salles annexes d’expositions et opérations
de location d’espace.

 des directions limogées ;

 des équipes peu associées aux orientations stratégiques et aux programmations ;

 une augmentation de la charge de travail dans les services, assortie de réductions
d’effectifs ;

 des instances (CTP, CHS, CA) sous-dimensionnées, avec une sous-représentation du musée
« secondaire » intégré à l’établissement « principal ».

Rattachés à un établissement public, les musées et leurs équipes seront soumis à des
règles désormais bien connues :

 obsession des chiffres de fréquentation ;

 logique comptable de la performance financière ;

 stratégie marketing digne des parcs d’attraction touristique ;

 politique commerciale dynamique, c’est-à-dire offensive ;

 marginalisation des missions de démocratisation culturelle ;

 mobilité (professionnelle) réduite des personnels ;

 règlements d’établissement « maison », sans coordination ministérielle.

Menaces sur l’emploi et les missions de service public

Cette galaxie d’établissements autonomes affaiblit le service public culturel, elle signe la
fin de toute cohérence des politiques publiques muséales, des capacités d’impulsion et
d’intervention du ministère de la Culture, la réduction des missions publiques et donc de
l’emploi public (des agents de surveillance jusqu’aux conservateurs), l’extinction des
filières (métiers d’art, jardiniers…)

Le président de l’hypothétique établissement public de la Maison de l’histoire de France
décidera l’allocation des moyens musée par musée selon une péréquation discrétionnaire,
la politique de l’emploi musée par musée, la mobilité interne à l’établissement public, sur
ses différents sites, éloignés les uns des autres. Sur chacun des sites, les personnels
n’auront plus d’interlocuteurs décisionnaires de proximité. A chacune de leurs questions, il
leur sera répondu : « Nous ne pouvons pas vous répondre, nous devons en référer au
président de l’établissement. »

Quant aux musées nationaux qui ne seraient pas rattachés à un établissement d’État (EPA
ou EPIC), ils seront transférés à la Fonction publique territoriale, via un établissement
public de coopération culturelle (EPCC). Les finances des collectivités territoriales étant à
sec, la tentation est forte pour leurs responsables de confier au secteur privé la gestion du
patrimoine, par délégation de service public.

Pour toutes ces raisons, le projet de Maison de l’histoire de France est
selon nous un fléau pour le service public des musées, des archives et
plus largement de la Culture, un recul de la qualité – neutralité,
impartialité, équité – du service rendu aux usagers et des conditions de
travail des personnels sur toute la sphère patrimoniale.

Voilà pourquoi, nous continuerons à combattre ce projet de Maison de
l’histoire de France avec détermination, quel que soit le lieu de son
implantation physique éventuelle, aux Archives ou ailleurs !!!

Nous appelons les personnels à se battre pour :

 préserver les missions de professionnels à l’écart des logiques de marché, au
service du patrimoine et de ses publics ;

 le maintien des services muséaux à compétence nationale ;

 un ministère pleinement responsable de la politique culturelle publique et
citoyenne.

Si les musées sont directement attaqués par le projet de Maison de l’histoire de
France, celui-ci s’inscrit pleinement dans les mesures RGPP, comme en atteste
le rapport du 5ème Conseil de modernisation des politiques publiques présenté en
Conseil des ministres le 9 mars dernier :
« D’ici fin 2011, le ministère aura atteint les principaux résultats encore attendus
des réformes décidées en Conseil de modernisation des politiques publiques pour
le secteur muséal.

 Les 14 musées encore sous statut de SCN (service à compétence nationale) vont
être rattachés aux structures d’accueil définies. Les musées non rattachés à la
Maison de l’Histoire de France seront intégrés à des établissements publics
existants ou regroupés au sein d’établissements publics de coopération culturelle
réunissant l’Etat et les collectivités locales. Outre les synergies culturelles
développées, ces transformations permettront l’accès des musées à une taille
critique et la simplification de leur gestion. Le musée national Adrien Dubouché
(céramique, verre et porcelaine de Limoges) va ainsi être rattaché à la
manufacture de Sèvres.

 Le nouvel établissement issu de la fusion entre la Réunion des musées nationaux
et le Grand Palais sera également opérationnel avec la signature du contrat de
performance cadrant la poursuite de la modernisation de sa gestion. »

Face à la casse des politiques publiques
patrimoniales, la CGT-Culture appelle les agents à
tenir partout des assemblées générales dans l’unité la
plus large.

L’heure est une nouvelle fois à la mobilisation,
notamment, dans les musées.

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