Fait rarissime : pourquoi nous avons refusé de siéger en CHSCTM sur la dématérialisation ?

Nous avons demandé de longue date un CHSCT Ministériel dédié à la question de la dématérialisation au regard de l’importance du sujet sur les missions, les métiers et les conditions de travail au ministère de la Culture. L’administration a fait droit à cette demande en convoquant un CHSCT M le 30 avril 2021.

Deux groupes de travail se sont réunis les 23 mars (projet Modernisation des Outils Numériques de l’Agent – MONA) et le 9 avril (projet Dématérialisation des Autorisations du Droit du Sol – DEMAT ADS). A la suite de ces travaux, l’administration n’a pas jugé utile de communiquer une documentation précise et détaillée permettant aux représentants du personnel d’exercer en connaissance de cause leurs mandats en matière de prévention des risques professionnels. En outre, beaucoup de questionnements sont restés sans réponse.

« DEMAT-ADS » : de quoi s’agit-il en réalité ?

La loi ELAN de 2018 portant sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, prévoit des obligations de transformation numérique en termes d’accès aux services publics à partir du 1er janvier 2022. Les services patrimoniaux des Directions Régionales des Affaires Culturelles sont concernés puisque cette transformation s’accompagne de projets de dématérialisation des dossiers d’urbanisme et donc des procédures de protection du patrimoine. L’enjeu est de maintenir une politique patrimoniale de haut niveau dans le domaine monumental, paysager et archéologique. Ce sont près de 500 000 dossiers qui sont traités chaque année par les 1600 agents des services concernés et principalement par les unités départementales d’architecture et du patrimoine – UDAP –  mais aussi par les services régionaux d’archéologie – SRA – dans une moindre de mesure au regard du nombre de dossiers des Conservations régionales des Monuments Historiques.

Tous les concitoyens des communes de plus de 3500 habitants devront passer au format numérique pour les demandes de permis de construire et autres demandes d’autorisation. Tous les services instructeurs des Collectivités et de l’État devront alors être en mesure de dématérialiser toute la chaîne de procédure (jusqu’aux avis y compris la signature numérique). Et les services devront en parallèle continuer à exercer leurs missions « à l’ancienne » pour un certain nombre de procédures non concernées pour l’instant.

C’est une transformation profonde du fonctionnement des services, de l’exercice des métiers et de l’organisation du travail. C’est bien un sujet ministériel d’ampleur mais aussi une question cruciale pour les DRAC. Mais c’est avant tout un projet interministériel qui nécessite une coordination stratégique et opérationnelle fiable et soutenue avec le ministère de la transition écologique notamment.

Et pourtant côté ministère de la Culture, le comité de pilotage, dont l’administration refuse de nous communiquer la composition…, a pour le moins quelques difficultés à piloter la stratégie d’ensemble ce qui n’est pas sans conséquence sur les aspects opérationnels du projet ; l’ensemble ayant une incidence sur les conditions de travail des personnels concernés.

Nous avons à déplorer pour cette séance du CHSCT M du 30 avril :

Côté pilotage,

  • L’administration se refuse à communiquer la composition du comité de pilotage du projet. Ce mutisme stérile cache très mal les difficultés actuelles que rencontrent l’administration du ministère à s’emparer avec rigueur du sujet. En outre, nous pensons que pour de tels projets la participation du médecin coordonnateur ministériel et de la cheffe de l’inspection santé et sécurité au travail est essentielle ;
  • Précision a été demandée sur la date de fin prévisionnelle du projet afin de prévoir la maintenance en condition opérationnelle et un club d’utilisateurs pour l’amélioration continue et le partage des bonnes pratiques ;
  • La manque de précisions sur les différentes temporalités et les repères chronologiques prévisionnels du projet à son passage en mode opérationnel ne facilite pas la mobilisation des personnels, déjà surchargés de travail, et laisse penser que le projet n’est pas conduit et piloté avec rigueur ;

Côté documentation :

  • Une documentation qui ne permet pas d’exercer le mandat de représentant du personnel. Le support de présentation transmis au groupe de travail ne peut constituer à lui seul la documentation utile à l’examen du point en séance le 30 avril ;
  • L’absence de précisions sur les différentes expérimentations menées/à mener dans les quelques UDAP alors que dès le 1er juin 2021 les premiers dossiers d’urbanisme via les réseaux sont susceptibles d’arriver dans les UDAP ;
  • Le refus obstiné du ministère de la Culture de communiquer sur les UDAP susceptibles d’être concernées dès le 1er juin 2021, ce qui revêt probablement un caractère interministériel mais qui a des répercussions sur les équipes dont les installations numériques ne seraient pas prêtes à la date demandée ;

Côté amélioration des débits réseaux : pas de débit, pas de dématérialisation !

  • L’absence de calendrier prévisionnel ministériel précis de la livraison en termes d’augmentation des débits réseaux dans les DRAC, UDAP et Centre de conservation et Etudes (CCE) alors que la date du 1er juin arrive très vite tout comme celle du 1er janvier 2022, date légale limite du passage à la dématérialisation ;
  • Les UDAP susceptibles de déménager ne sont pas concernées par cette amélioration du débit mais nous ne savons pas si elles seront exonérées, le temps du déménagement / emménagement, de la mise en place de la dématérialisation des autorisations d’urbanisme. L’administration reste muette sur le mode opératoire retenu dans ce dernier cas ;
  • La cartographie trimestrielle réalisée par les services pour mesurer l’état d’avancement de l’amélioration du débit réseau service par service n’a pas été communiquée au 31 mars 2021. Il ne semble pas pour autant que ce soit une difficulté à le faire. Le niveau de débit est important dans la mesure où il conditionne tout le reste ;

Côté équipement informatique,

  • Pour l’équipement informatique, l’effort est considérable puisqu’il s’agit d’acquérir près de 900 ordinateurs et écrans adaptés à ce nouvel usage ; la communication du calendrier prévisionnel ministériel de la fourniture des équipements et de leur mise en fonctionnement est toujours attendue ;
  • Les besoins en équipements informatiques nouveaux reposent sur la définition d’un poste type « patrimoine » et un poste type « archéologie » faisant suite à une étude menée dans les services patrimoniaux qui a permis de fiabiliser la commande. En revanche, l’administration ne communique pas sur le poste type « administratif ». Or il ne suffit pas de digitaliser les fonctions administratives pour ne plus avoir à les évoquer en CHSCT; qu’est-il prévu pour ces personnels dont le métier va profondément changer ?

Côté pratiques professionnelles

  • Les intentions de l’administration concernant l’archivage et le classement de la documentation restent énigmatiques ainsi que l’articulation pratique entre l’archivage numérique et papier. C’est pourtant le cœur des services patrimoniaux. Là aussi nous restons sans information ;
  • La gestion du double flux, triple voire quadruple flux de demandes d’instruction (papier, mail, téléphone, numérique) est un risque bien identifié mais l’administration n’y répond pour l’heure par aucune mesure de prévention. La cohérence de l’enregistrement des dossiers par les différents canaux est aussi posée ;
  • Le ministère ne prévoit pas de renfort en personnel pour le premier semestre 2022, alors que la dématérialisation le nécessiterait et bien que les services (en particulier les UDAP et les SRA) soient déjà en sous-effectif chronique ;
  • Le ministère ne répond pas à la question posée concernant la dématérialisation des dossiers liés aux études d’impact que sont les dossiers importants d’aménagement comme les routes ou les ZAC. Le risque est alors de créer des situations de conflits de valeur pour les collègues qui verront un traitement différencié entre les usagers suivant qu’ils sont des particuliers ou des gros aménageurs ;
  • Le contexte de la crise sanitaire et du travail à distance gêne considérablement la réalisation du projet ; cet élément devrait être mieux pris en considération par le ministère pour le faire valoir en interministériel ;
  • L’horodatage automatique réduit les marges de manœuvre pour réguler les retards puisque c’est la machine qui impose le rythme. Le risque est d’aboutir à une caducité des prescriptions et in fine à des mesures de « simplifications » de la protection du patrimoine ;
  • Aucune information sur l’amélioration/détérioration du contrôle scientifique et technique alors que c’est la prérogative essentielle du ministère et sa raison d’être.
  • Les chaînes opératoires actuelles dans les services sont très bien identifiées mais qu’en est-il de la nouvelle chaîne avec la dématérialisation à titre expérimental menée dans quelques services ?
  • La délégation de signature et la nécessité de fournir un lecteur carte agent pour sécuriser l’ensemble est à prévoir ;
  • Les modalités de passage des applications métiers actuelles au nouvel outil sont identifiées mais ne sont pas développées ;
  • Alors que le conseil aux usagers est une tâche importante, l’administration ne nous renseigne pas sur l’accompagnement fait aux usagers pour les aider dans leurs démarches et ce, en dépit des recommandations du Défenseur Des Droits dans son rapport de 2019 sur « Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics ». Le lien du rapport : https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/rapports/2019/01/dematerialisation-et-inegalites-dacces-aux-services-publics

Côté accompagnement des agents,

  • Le plan de formation pour les 1600 agents concernés ne nous est toujours pas communiqué, ce qui a valu une abstention de la Cgt et la FSU au plan de formation au Comité technique ministériel du 26 mars (évolution du contenu métier, formation au nouvel outil, nombre de jours d’apprentissage, temps dégager pour permettre la formation, formation en présentiel dans chaque collectif de travail, accompagnement à la nouvelle organisation du travail, calendrier prévisionnel, accompagnement de la hiérarchie dans la nouvelle organisation du travail…) ;
  • Dégager du temps pour l’apprentissage et la formation des agents aux nouveaux outils et aux nouvelles organisations du travail est indispensable à la bonne réussite de l’exercice ; nous restons sans réponse de la part de l’administration pour trouver les voies et moyens pour y parvenir et vu le temps qu’il reste ;  
  • La nécessité de trouver des voies de communication faisant plus la place à la chaleur humaine et qui mobilisent mieux les personnels que l’outil numérique « osmose». Cet outil collaboratif a peut-être des qualités mais accroît l’impression de surcharge numérique des tâches et démobilise les agents ;
  • Un accompagnement spécifique de la hiérarchie est nécessaire mais nous restons aussi sans information concrètes de ce point de vue ;

Côté dialogue social,

  • L’association des instances locales est une évidence pour rester en prise avec le monde réel et ajuster les mesures de prévention mais là encore aucune instruction particulière aux services ;
  • L’association des médecins de prévention et des inspecteurs santé et sécurité au travail est indispensable à la bonne politique de protection de personnels et au conseil aux responsables ;

Considérant l’accompagnement des agents comme extrêmement défaillant et tirant les conclusions d’une conduite tout aussi défaillante du projet, demande a été faite par nos soins au groupe de travail de surseoir à la mise en œuvre du projet à la date du 1er juillet 2022. Ce délai devrait permettre à l’administration de reprendre le fil de ses responsabilités vis-à-vis des personnels.

Côté prévention des risques professionnels

  • L’identification des risques et la nécessité de construire un plan d’action pour aider les services sont restées lettre morte, aussi surprenant que cela puisse paraître. Les critères de Gollac en matière d’identification des risques socio-organisationnels (intensité et temps de travail, exigence émotionnelle, manque d’autonomie, rapports sociaux au travail dégradés, conflits de valeurs, insécurité de la situation de travail) doivent permettre de mettre au point une méthode d’élaboration d’un plan national d’action de prévention adapté au niveau local en fonction des expérimentations et des mises en route de la dématérialisation dans les collectifs de travail ;
  • L’adaptation des entretiens professionnels dans un tel maelstrom est rendue nécessaire ;

Il y a aussi d’autres questions à évoquer mais pour un avis du CHSCT M sur un tel projet, l’administration doit s’efforcer réellement d’améliorer la documentation communiquée aux représentants du personnel. Ce serait aussi une marque de respect des missions, des métiers et des personnels en premier ligne dans les services mais aussi ceux à l’œuvre pour la réalisation de ce projet.  Ce serait aussi une marque de respect pour les usagers.  

L’état de méconnaissance du projet parmi les personnels interroge sur les voies et moyens utilisés jusqu’alors par l’administration pour conduire ce projet. Pour autant les nombreuses heures mensuelles d’information syndicales menées par nos soins auprès des collectifs de travail et malgré la crise sanitaire nous ont permis de nous instruire sur le sujet. Nous remercions tous les personnels qui nous aidé et ont à cœur d’œuvrer quotidiennement à la protection du patrimoine, mission essentielle du Ministère de la Culture.

Le projet MONA et le dossier des simplifications des démarches administratives des usagers, qui sont les deux autres points à l’ordre du jour nécessiteraient aussi un meilleur dialogue.

En CHSCT Ministériel, nous faisons le maximum pour porter les exigences du monde réel et nous continuerons, quoiqu’il en coûte … ! Ne pas siéger aujourd’hui n’a pas été chose simple à décider mais le secrétaire général du ministère de la Culture doit comprendre qu’un tel projet se conduit dans le dialogue et le respect.

Paris, Nantes, le 30 avril 2021