Expertise et charges de travail en AC : la santé des personnels et l’avenir des missions en jeu

Madame la Ministre nous n’avons pas besoin « de bienveillance et de compréhension » mais de respect et d’emplois.

L’administration centrale (AC) est au bord de la rupture : surcharge de travail, services désorganisés, sous-effectif durable, travail empêché, volonté de cloisonner les informations, hiérarchie sourde et hors-sol. On réorganise sans cesse, on déconcentre, on décentralise sans aucune réflexion, intelligence ou vision. Ces réorganisations incessantes participent d’une perte d’expertise et d’une surcharge de travail. 

Les agents de l’AC ne sont pas préservés de la souffrance au travail. Depuis dix ans, l’AC a perdu près de 600 postes. 35 postes seront supprimés aussi en 2021. Ces suppressions de postes, le non-remplacement des départs en retraite et la montée en puissance de missions nouvelles dans le cadre des réformes publiques vont de pair avec une nette augmentation de la pression au travail. La difficulté des agents à prendre des jours de repos et de RTT, et le recours bientôt obligatoire au CET témoignent de cette réalité.

Bien qu’ils souffrent au travail, les personnels font de leur mieux pour rester les garants du bien commun. Ce sont eux en effet qui sauvent les meubles entre deux réorganisations. Même avec la tête dans le guidon, ils ont conscience de l’ampleur des dysfonctionnements du système. Dans ce contexte de travail fortement dégradé, tout est fait pour inciter les personnels – quand ils n’y sont pas invités – à partir. Force est de constater que notre ministère perd non seulement des talents mais surtout de l’expertise et des compétences. Cette pente dangereuse met directement en cause notre capacité à remplir certaines missions de service public. Ainsi, le risque d’aller à la suppression de certaines politiques irremplaçables est désormais avéré.

La crise sanitaire aura donné lieu à des déclarations toutes plus belles les unes que les autres. Nos dirigeants ont soudain redécouvert le rôle primordial des services publics et celui essentiel de la Culture dans une société fragilisée.

Reste qu’à la première éclaircie venue, la petite musique des réorganisations, des privatisations et des économies sur les dépenses publiques se fait de nouveau entendre.

Les services publics, un investissement sur l’avenir des sociétés

Dans le moment historique que nous vivons la Culture et notamment le service public culturel doivent avoir les moyens de jouer pleinement leur rôle.

Si comme nous le pensons, renforcer la démocratie est une question vitale, la démocratie culturelle et les droits culturels sont indispensables à la création de nouveaux espaces de partage et à l’extension des solidarités. Face aux tentations communautaristes et aux fragmentations de toutes sortes, il s’agit d’imaginer et d’explorer de nouvelles formes de communs. Ne perdons pas de vue non plus que les pays où la culture et la création artistique sont vivantes ont aussi une économie fertile. Le ministère de la Culture doit avoir la capacité pleine et entière de créer le terreau favorable à ces expériences et projets porteurs d’avenir.

L’expertise est essentielle au renouveau et à l’efficience de l’administration centrale : pour instruire et préparer les décisions et grandes orientations prises par l’autorité politique ; pour accompagner et soutenir les DRAC et les EP dans le déploiement de ces politiques et garantir le maintien de la cohérence nationale ; pour évaluer ces politiques et s’assurer de l’égalité d’accès à la Culture pour toutes les populations dans tous les territoires.  On sait aussi combien le pilotage et l’animation des réseaux sont importants pour cela.

Les destructions d’emplois se poursuivent

L’OAC, dernière réorganisation en date, devait, selon ceux qui nous gouvernent, renforcer les missions sans perte de postes. La réalité c’est qu’entre les effectifs prévus en janvier 2020 et ceux que l’on retrouve à la sortie des textes de réorganisation beaucoup de postes ont été détruits.

Réorganisation, désorganisation et nouveaux cloisonnements

L’OAC aurait pu être au moins l’occasion, comme nous le revendiquons depuis longtemps, de casser les cloisons instaurées par la RGPP et d’améliorer les coopérations et le travail entre les agents et les services de l’administration centrale, tout en renforçant l’expertise.

Elle aurait pu être l’occasion de renforcer les services de formation de l’AC en leur donnant les moyens nécessaires à leur place déterminante dans la politique RH (ces services sont en effet les seuls à avoir une vision à 360° quant aux besoins concrets de métiers en perpétuelle évolution).

Cette réforme aurait dû également mettre au cœur l’animation des réseaux professionnels dont on sait l’importance face à la complexité actuelle des enjeux.

Mais il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Si nos responsables se targuent de travailler entre eux dans la bonne entente, dans les faits ils ne mettent rien en œuvre pour qu’il en soit de même avec leurs personnels. Au contraire, ils dressent de nouveaux murs. Toutes les informations restent bloquées au niveau des chefs de service.

Ceux qui dirigent ce ministère n’ont rien à faire de l’expertise des agents et d’ailleurs dès que les sujets deviennent plus techniques, cela n’intéresse plus. Cela les obligerait à réfléchir et à faire des concessions au débat, et serait un obstacle à leurs décisions qui, trop souvent, ne se basent sur aucune réalité de travail tangible.

La fonction RH n’est pas épargnée non plus par la perte d’expertise consécutive à des réorganisations internes et à la déconcentration des actes de gestion dans certains établissements publics. Ce qui en l’occurrence crée des inégalités de traitement insupportables entre les personnels.  Faut-il rappeler pour illustrer cette alerte sur les droits des agents que les contractuels ne bénéficient toujours pas de la subrogation en cas d’arrêt de maladie.

Et pourtant dans un ministère comme le nôtre, éclaté en plus de 80 Établissements publics, dont la diversité des missions et des opérateurs repose sur de nombreuses spécificités métiers, dans un ministère comprenant 22 corps qui tous détiennent des expertises particulières, la richesse des savoirs et des savoir-faire est un capital précieux qu’il faut absolument conserver, valoriser et transmettre.

La hiérarchie intermédiaire n’est pas épargnée non plus par cette forme de désenchantement. Ces agents se débattent eux aussi avec les injonctions contradictoires. Tenus au silence pour ne pas compromettre une carrière, ils doivent faire profil bas, appliquer les consignes en dehors des besoins exprimés par les équipes, obérant ainsi le plus souvent malgré eux les possibilités de cohésion sociale et l’amélioration des conditions de travail.

Dans un autre univers, un tant soit peu libéré de cette conception parfaitement archaïque des relations sociales, de tels dysfonctionnements remonteraient à ceux qui dirigent ce département ministériel, lesquels prendraient les mesures appropriées pour y remédier.  Mais au ministère, la Ministre, son cabinet et le SG, qui est par définition responsable de l’organisation des services, ils n’en ont que faire.

A force de leur répéter, on ne sait plus trop comment leur dire qu’ils devraient écouter et soutenir les personnels au lieu de les laisser seuls, en première ligne.  Qu’ils devraient les appuyer dans les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien, faciliter et fluidifier les relations et les procès de travail plutôt que d’empêcher, de restreindre et de compliquer les choses à outrance.

Au lieu de mettre en place des droits collectifs, ils nous parlent de « compréhension » et de « bienveillance ». Mais appelons un chat un chat, derrière ce vocabulaire de la résilience se cache une volonté d’individualisation à la tête du client pour créer de la servitude et du clivage.

Les personnels de l’administration centrale et les missions qu’ils portent n’ont pas besoin de bienveillance, de compréhension, d’un paternalisme désuet et encore moins d’un « caporalat ». Ils ont besoin de créations de postes, d’une reconnaissance et d’un renforcement de l’expertise, et, tout simplement, de pouvoir travailler dans de bonnes conditions et avec la sérénité nécessaire à l’accomplissement de leurs missions de service public culturel.

Pour cela nous demandons :

  • Des créations de postes et des ouvertures de concours
  • Le maintien et le développement de l’expertise par tuilage et recrutements anticipés
  • La CDIsation des CDD sur des missions permanentes
  • Un plan de repyramidage pour les titulaires
  • La restauration des moyens humains et budgétaires indispensables à la formation
  • La prise en compte de la surcharge de travail et la priorisation des tâches quotidiennes
  • Le respect des agents, de leurs droits et expertise
  • Le renouvellement et l’amélioration des coopérations avec les DG dans le respect de leurs champs de compétence
  • Le maintien de la rémunération des agents contractuels en arrêt de maladie par subrogation de leurs droits

Malgré les contraintes imposées par la pandémie, nous avons lutté et résisté ensemble tout au long de l’année écoulée (Heures mensuelles d’information en visio et mixtes, actions, chansons, collages, et campagnes d’affichage, etc.) et nous continuons.

La période estivale est propice aux congés. Cette année plus que jamais peut-être, nous avons tous besoin de repos et de tranquillité.

Profitons de cet été pour recharger les batteries et préparons-nous à nous mobiliser à la rentrée pour notre avenir et celui des missions que nous portons.

Aucune situation n’est irréversible. Il n’y a pas de fatalité.

Si nous nous donnons les moyens d’agir ensemble, nous pourrons peser positivement sur notre destin personnel et collectif, l’avenir de nos missions. 

La CGT-Culture restera présente à vos côtés pendant cette période d’été.

Paris, le 3 août 2021