Entre catimini et passage en force, le projet de création d’une filiale à la BnF

Entre catimini et passage en force, le projet de création d’une filiale à la BnF

On ne compte plus les discours enthousiastes du ministre de la culture sur les immenses possibilités offertes par les technologies numériques.

Le ministre n’a-t-il pas « fait de la numérisation et plus largement de l’accès numérique au patrimoine culturel et à la création une priorité d’action de… » son ministère ? Seulement voilà, ces belles intentions se délavent très vite à l’épreuve des faits. En vérité, dans ce domaine aussi, c’est l’idéologie libérale qui gouverne. Il faut se référer notamment au rapport Lévy-Jouyet publié le 6 décembre 2006 pour comprendre que nous sommes entrés dans l’ère de « l’économie de l’immatériel ».

Et où il est question de marchandisation des savoirs en passant par la dérégulation de la culture et de la création, le risque est grand de passer des affaires de l’esprit à l’esprit des affaires. Ainsi, après l’épisode « la BnF se livre à Google », ….

… Le président de la BnF a mis à l’ordre du jour du Conseil d’administration du 8 décembre 2011 un point relatif à la création d’une filiale dénommée « BNF-Partenariats » dont la BnF serait l’unique actionnaire et ayant pour objet la valorisation commerciale des collections numériques par des partenaires privés. Ce projet de filiale de droit privé, prendrait la forme d’une société par action simplifiée (SAS) qui devrait en outre recueillir le financement du programme national des investissements d’avenir.

Belle concrétisation du rattachement de la BnF à la direction des industries culturelles !

Le 6 juillet 2011, un appel à partenariat pour un programme de numérisation partielle des collections de la BnF a été lancé conjointement par Frédéric Mitterrand, René Ricol, commissaire général à l’investissement et l’actuel président de la BnF Bruno Racine ; son montant est estimé à 150M€.

Les informations données à l’ensemble des administrateurs pour se prononcer en toute connaissance de cause sont lacunaires, voire inexistantes. En effet, alors que des travaux préalables ont été conduits en amont du projet de filiale, rien n’est fourni sur :

 la définition du partage des responsabilités entre la BnF et les partenaires privés,

 la levée des questions juridiques et économiques structurantes.

En outre, l’étude lancée fin 2010 dans le but d’évaluer le modèle le plus approprié à la valorisation des collections n’a jamais fait l’objet, ni d’une information, ni d’un quelconque débat.

La subvention de fonctionnement de l’Etat à la BnF pour 2012 s’élève à 184M€ et est donc en baisse de 0,7%, soit 1,2M€ par rapport à 2011. Les programmes de numérisation sont financés par une subvention du Centre national du Livre (CNL) et par le budget propre de la BnF ; cette enveloppe annuelle est d’environ 7M€ depuis 2007. Ce qui est notoirement insuffisant. Mais pire, l’Etat n’a jamais donné un centime pour les programmes de numérisation des collections sur ses crédits d’investissements. Pourtant, le contrat de performance stipule bien que la numérisation est un axe prioritaire de l’établissement afin que celui-ci devienne une « bibliothèque numérique de référence ».

Sur le plan politique, par le biais de la création de cette filiale, c’est bien un désengagement profond que l’Etat opère de manière brutale et irresponsable en confiant, notamment des pans entiers de missions de la BnF, à des entreprises privées via une filiale. A terme, le risque est bien de voir la filiale voler de ses « propres ailes » et de récupérer l’ensemble des fonds numérisés, ainsi que leur exploitation commerciale. Dans ce contexte, et à titre d’exemple, Gallica, l’actuelle bibliothèque numérique de la BnF, en consultation gratuite n’est-elle pas condamnée à dépérir ?

Cette question pourtant essentielle du service public culturel et d’un établissement comme la BnF n’a fait l’objet d’aucun débat de fond, ni sur la place publique, ni au Parlement, ni au sein de l’établissement.

De plus, ce projet de filiale modifierait profondément l’organisation des missions et du travail des services de la BnF, notamment pour « garantir la mise à disposition des ouvrages et des métadonnées ». Or, ni le comité d’hygiène et sécurité et des conditions de travail, dont ce sont les compétences nouvelles, ni le comité technique de la BNF n’ont été consultés.

C’est pourquoi, la CGT demande au président de la BnF de retirer ce point à l’ordre du jour du Conseil d’administration du 8 décembre et d’engager sans plus tarder un véritable dialogue avec l’ensemble des acteurs concernés, à commencer par les personnels, les usagers et la communauté scientifique.

2011 12 07 Projet filiale BnF

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