Ecole nationale supérieure d’architecture de Nancy : Restitution du rapport de l’Igac et ses suites

A la suite de la motion du 10 juillet faite par des personnels de l’école nationale supérieure d’architecture de Nancy à l’adresse du ministre demandant la restitution du rapport de l’Igac au conseil d’administration de l’école, le Ministre a répondu favorablement, pour partie, à cette demande.

Le cabinet du ministre a demandé à l’Inspection générale des affaires culturelles de présenter le rapport le vendredi 19 juillet dernier, non pas au conseil d’administration, mais à l’ensemble de la communauté de travail de l’école. A la suite de cette présentation, le cabinet a confié au directeur général des patrimoines la mise en oeuvre des suites à donner au rapport ainsi que de prendre les dispositions nécessaires pour permettre une rentrée 2019-2020 dans de bonnes conditions.

Restitution du rapport par les inspecteurs de l’IGAC à tous les personnels

Plus de soixante agents étaient réunis pour cette séance assez solennelle. Comme quoi l’exigence de transparence et de vérité est partagée par tous, et même par le directeur de l’école qui était présent !

Les inspecteurs disposaient d’une heure pour présenter leurs travaux et ont à tour de rôle évoqué les points suivants.

Situation de l’immeuble Vacchini, siège initial des locaux de l’EnsaN

Est porté à la connaissance des personnels par l’Igac le diagnostic de 2011, avant l’effondrement de panneaux de façade en mai 2017. Ce diagnostic sur l’immeuble alerte la direction de l’EnsaN sur un certain nombre de désordres structurels. Or la direction n’a pas pris en compte ces éléments comme priorité absolue ni même communiqué ce diagnostic à la tutelle, estimant prioritaire le chantier de réaménagements internes de l’immeuble.

Rien de plus a été communiqué concernant ce point et les perspectives de retourner à l’immeuble Vacchini semblent très lointaines.

Versement d’honoraires sans base légale à des enseignants, en plus de leur rémunération principale

L’Igac rappelle que dans l’enseignement de l’architecture, les enseignants sont autorisés à cumuler des activités libérales et des activités d’enseignements dans les écoles et que ce dispositif permet un enseignement de l’architecture de qualité. A la suite de quoi, elle égraine différentes situations de rémunérations complémentaires, qui se sont étendues dans le temps au sein de l’école alors que la Cour des comptes en 1995 avait déjà demandé une clarification sur ce sujet.

Le ministère de la Culture a alors permis d’asseoir sur des bases légales certains compléments de rémunération liée à la recherche par un décret en 1998, décret qui n’a jamais été appliqué rappelle l‘Igac. Les dérives constatées au sein de l’EnsaN ont évolué dans le temps mais toujours sans bases légales, allant jusqu’à la création d’autoenteprise par des enseignants, ces derniers facturant à l’école certains de leurs travaux de recherche.

A partir de 2015, des honoraires ont été versés à des enseignants sur le fondement de conventions signées avec les Collectivités territoriales pour des activités pédagogiques, de recherche et aussi d’architectes libéraux et dont les travaux ont été facturés à l’école et payés sur ses crédits (prestations intellectuelles, avocat, etc…). L’Igac a précisé que ces rémunérations complémentaires n’ont rien à voir avec le cumul d’activités autorisé par la loi.

Pas plus de précisions sur l’ampleur du phénomène au sein de l’école, la raison de la persistance de ce dispositif pendant une dizaine d’années, le coût financier pour l’école, le degré de responsabilité au sein de la direction dans la mise en oeuvre de ce dispositif alors qu‘elles sont indispensables pour mettre en lumière la réalité des faits litigieux.

Procédure de recrutement exotique

Le recrutement sur un emploi public a été « résolu«  de manière problématique selon l’Igac. Un contrat de prestation de service par une entreprise privée a été conclu pour des missions relevant d’un emploi public. L’Igac a jugé dérogatoire aux règles de la Fonction publique ce mode de recrutement et a précisé que ce dispositif empêche tout acte administratif de nomination puisque la fonction est occupée par un prestataire. L’Igac mentionne en outre les risques liés à cette irrégularité sur l’application des règles de finances publiques.

Là encore, pas plus de précisions sur l’ampleur du phénomène, le coût financier pour l’école, la nature du lien de subordination du salarié, le degré de responsabilité au sein de la direction dans la mise en oeuvre de ce dispositif et l’absence de précision sur les conséquences en chaîne du point de vue du droit y compris pénal. Il faut bien constater que l’Igac a été pour le moins timorée.

Des précisions sont indispensables pour faire la lumière sur la réalité des faits en cause.

Création douteuse d’une association « région architecture«  et gestion de fait

L’Igac a précisé la place et le rôle de l’association région architecture dont le directeur de l’école était le président. Elle conclut, après auditions des personnels, que le projet porté par cette association, qui n’est pas partagé avec l’école, appartient en propre au directeur. En effet, la distinction des missions entre l’école et l’association n’est pas claire. L‘association pouvait notamment revendiquer des missions de l’école et viceversa, ce qui est source de grandes difficultés pour l’école et ses agents. Un agent de l’école a été mis à disposition de l’association tout en occupant un bureau dans l’école. L’Igac en a conclu que cette association avait un caractère para administratif et a précisé qu’il existait des risques de conflits d’intérêts et de gestion de fait. Le président de l’association qui est le directeur de l’école a démission depuis de la présidence de l’association.

Gouvernance « atypique«  et chaos dans l’administration de lécole

L’Igac a rappelé que l’absence non seulement de règlement intérieur de l’école, de règlement de conseil d’administration mais aussi de certification interne des services faits a conduit à un certain nombre de désordres dans l’administration de l’école.

Il est même probable que cela a été préjudiciable pour les finances de l’école, d’après notre analyse.

Enfin, a été évoquée, la gouvernance « atypique«  de l’école qui fonctionne par des comités qui sont au nombre de six depuis 2011 et qui remplaçaient pas moins de onze commissions. L’HCéRES (haut conseil de l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche) avait déjà fait des remarques sur ce mode de gouvernance considérant qu’il n’y avait pas de distinction entre les lieux opérationnels et ceux de contrôle. Ce dispositif a crée des tensions entre administratifs et enseignants qui n’ont pas été gérées par la direction. Dans ce sens, des relations interpersonnelles se sont dégradées mais elles n’ont jamais fait l’objet là non plus d’un traitement sérieux par la direction.

Sur la question des problèmes organisationnels et de souffrance au travail, l’Igac a surtout renvoyé au rapport de l’entreprise ADH, mandaté par le CHSCT pour expertiser les raisons des difficultés organisationnelles au sein de l’école. Si le rapport ADH est bien rendu à la direction, les représentants du personnel n’en ont pas communication intégrale à ce jour …

Des préconisations censurées

En fin de séance, l’Igac a annoncé que les préconisations de son rapport ne seraient pas portées à la connaissance des personnels parce qu’elles ont été remises au ministre. A la Cgt, on pense que ce qui est bon pour l’information des personnels est bon pour l’information du ministre et personne ne comprend cette censure.

Neuf mois d’enquête pour une heure de restitution sans débat

Il faut bien constaté que si les personnels n’avaient pas saisi le ministre, jamais ce rapport ne leur aurait été restitué alors qu’ils sont les premiers concernés. Que le ministre soit remercié d’avoir répondu favorablement à cette exigence de transparence. Tous les personnels ont apprécié cette séquence et leur présence en nombre est la réponse la plus claire qu’il soit.

Néanmoins notre organisation tient à rappeler qu’il a fallu beaucoup d’heures de négociation pour en arriver à une telle séance d’où notre étonnement : après neuf mois d’enquête, nous étions en droit d’avoir autre chose qu’une heure de restitution sans débat !

_____________

Les suites du rapport Igac et l’accompagnement du ministère pour la rentrée universitaire

Après une suspension de séance, le directeur général des Patrimoines, qui n’avait pas assisté à la première, a ouvert avec les personnels une nouvelle réunion intitulée « échange avec la Direction générale des patrimoines et le Service des ressources humaines du Secrétariat général sur les suites de ce rapport et sur l’accompagnement du ministère pour la rentrée universitaire.« 

Des remerciements et puis c’est tout !

Après avoir remercié la communauté de travail de son engagement et de son dévouement pour maintenir en fonctionnement l’école malgré les difficultés et d’avoir garanti ainsi la continuité du service public, le directeur général des Patrimoines a ouvert le débat en invitant les personnels à témoigner de la situation actuelle. A tour de rôle, les personnels enseignants, administratifs, techniques et les étudiants ont fait part de leur perception sur la situation de l’école.

#S.O.S EnsaN

Il a été question des grandes difficultés rencontrées par la communauté de travail et étudiante portant sur :

  • des locaux actuellement inadaptés, l‘absence d’aide de la DGP pour accélérer les travaux à Vacchini et notamment la question de la prise en charge de la maîtrise d’ouvrage déléguée, la nécessité de donner des informations sur les échéances des travaux et de solliciter l’OPPIC,

  • un processus décisionnel abscons, la solitude de la communauté de travail, l’absence de « décideur » au sein de l’école, l’ignorance de la question managériale, un dialogue social absent, l’absence de fiche de poste, une organisation des services qui génère des conflits, un développement artificiel des conflits interpersonnels qui s’ensuivent et qui ne sont pas gérés par la direction,

  • la nécessité d’une assistance juridique de la tutelle pour expertiser les projets de convention avant délibération du conseil d’administration,

  • la non reconnaissance de tout le travail produit y compris en heures supplémentaires par une revalorisation indemnitaire et/ou de carrière,

  • la grande difficulté d’enseignement dans les conditions actuelles, l’influence toxique du climat interne et des locaux sur la qualité de l’enseignement, la fuite des étudiants et la dégradation de la vie étudiante qui voit les solidarités et les convivialités disparaître,

  • l’absence de la communication intégrale du rapport RPS de la société ADH aux représentants du personnels,

  • des menaces qui pèsent sur le financement de la thèse d’une administratrice qui milite pour la transparence,

  • les non réponses de la direction et de la tutelle aux questions posées,

  • le recrutement de personnel administratif sans avis de vacance à la BIEP, un turn-over important des personnels administratifs, le développement de la précarité et un besoin de clarification du recrutement dagents contractuels,

  • la formation des enseignants à la suite de la mise en oeuvre de la réforme des Ensa pour améliorer leurs compétences administratives,

  • la demande d’un accompagnement de la DGP pour la rentrée et de manière générale d’un dialogue plus rapproché entre école et DGP, voire d’un suivi sur le long terme,

  • la toxicité des comités dans l’organisation des services,

  • l’occasion offerte par le rapport Igac et ADH de reconstruire une trajectoire nouvelle et la nécessité de construire un projet et une école pour les étudiants et non contre eux,

  • l’énergie démesurée pour faire fonctionner l’école sans résultat probant pour la communauté,

  • la nature et le degré de responsabilité administrative selon les niveaux des fonctions occupées,

Et la nécessité de prendre le train de retour pour le directeur général des Patrimoines à 13h20…

Non, toutes les écoles d’architecture ne sont pas comme celle de Nancy !

Si le DGP a promis qu’il ne ferait aucune promesse, il est surtout passé à côté de l’occasion de prendre la mesure complète de la situation. Il s’est engagé à faire un relevé de décisions bien qu’il n’en ait pris quasiment aucune devant les personnels, ce qui n’est pas passé inaperçu. Le sous-directeur de l’enseignement supérieur de l’architecture a essayé de donner des informations sur l’immeuble Vacchini qui nécessitent encore d’être fiabilisées pour être crédibles.

Si nous n’avons pas pour vocation de se substituer à la communication du DGP, et si nous attendons son relevé de décisions avec beaucoup d’impatience, nous rappelons que toutes les écoles n’en sont pas au même degré de difficultés de celles de Nancy, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire. Il est vrai que la tutelle des écoles nécessite une reconfiguration au sein du service de l’Architecture. Dans les questionnements de la communauté de travail et étudiante de Nancy il y a tout pour construire une tutelle au sein de ce service qui réponde aux besoins du réseau des écoles.

La parole au directeur de l’école

Et comme si cela ne suffisait pas, le DGP a passé la parole au directeur de l’école qui a remercié l’Igac et la DGP d’être venues. Avec un exercice d’autoévaluation dont il a le secret et un certain art de l’autosatisfecit, le directeur a dit qu’il serait présent à la rentrée mais qu’il prenait la liberté d’écourter son mandat de directeur d’école quand un nouveau secrétaire général et un nouveau directeur seront nommés, le tout dans un silence de plomb.

Le DGP a alors trouvé utile de préciser, dans la cacophonie du départ des uns et des autres, que la cheffe du service de l’architecture serait présente au conseil d’administration du 12 septembre prochain.

La réalité des personnels à la trappe

A la sortie, les personnels étaient médusés devant le caractère insipide des réponses faites par le DGP. L’incompréhension et la colère aussi pointaient. Maintenant les personnels ont tous la même information et ont pu constater qu’il existait des pratiques irrégulières et illégales profitant à certains, ce qui ne manque pas de laisser les autres dans la stupéfaction.

En ne prenant pas leur responsabilité à la suite du rapport de l’Igac vendredi matin devant l’ensemble des personnels, le DGP, et plus largement le ministère, sont responsables des divisions qui pourraient voir le jour au sein de la communauté de travail. C’est une manière grossière de passer la réalité des personnels à la trappe mais au profit de quoi. Certainement pas de l’intérêt général !

Deux poids, deux mesures

En outre, s’il n’est pas notre rôle d’exiger une procédure disciplinaire pour l’un ou l’autre, notre organisation aujourd’hui fait le constat qu’il existe au ministère de la Culture deux poids, deux mesures. Selon qu’un agent relève de telle ou telle catégorie, et à gravité constatée de faits similaires, il ne sera pas relevé de ses fonctions s’il appartient à l’encadrement supérieur. Le sentiment qu’il se développe au sein de notre ministère une forme d’impunité pour certains est réel et avéré. Notre organisation ne saurait laisser se développer une telle pratique de nouvelle immunité.

La parole est au ministre !

On peut alors se demander pourquoi le ministre a autorisé la restitution pour finalement ne prendre aucune décision puisque c’est le sentiment général qui était partagé à l’issue de cette matinée.

Pour les personnels de l’EnsaN, la crainte est bien que la galère accompagne l’impunité jusqu’au bout !

Dans ce contexte délétère, la rentrée risque de prendre une tournure inhabituelle si le ministère ne se resaisit pas immédiatement. Les personnels mais aussi les étudiant sont prêts à défendre leur école.

Monsieur le ministre, il est de vos responsabilités de prendre les mesures qui s’imposent à l’EnsaN à la suite du rapport Igac, de mettre à disposition tous les moyens nécessaires pour la reconstruction d’un nouveau projet partagé par toute la communauté de l’EnsaN et renforcer le rôle de la tutelle dans un sens plus opérationnel, que soi-disant stratège !

Nancy-Paris, le 22 juillet 2019, 17h00