Délit d’outrage aux agents du service public de l’archéologie

Les premières conclusions de l’Autorité de la concurrence viennent de tomber (cf. bas de page) suite à la saisine de quatre sociétés privées (Hadès, Eveha, Mosaïques Archéologie et Paléotime) qui accusent l’Inrap de pratiques anticoncurrentielles. On pouvait s’y attendre, l’Autorité de la concurrence, bien peu préoccupée de science et de recherche, a prêté une oreille attentive à ces requêtes, pourvu que l’archéologie soit, à chaque fois un peu plus, considérée comme une simple marchandise.


De l’enquête préliminaire de l’Autorité de la concurrence il ressort que « l’Inrap accéderait [remarquez le conditionnel] à des informations privilégiées dans le cadre de son activité de service public de diagnostic archéologique prévue par la loi » et que l’établissement ne disposerait pas d’outil de gestion « suffisamment performants pour permettre de dissocier ses activités lucratives (sic) et ses activités non lucratives ». En d’autres termes, l’Institut est accusé par ces sociétés privées de faire de la rétention d’information sur les données collectées lors des diagnostics pour remporter ensuite des marchés de fouille et de réduire le prix de ses offres grâce aux financements qu’il reçoit par ailleurs pour la réalisation de ses obligations de service public (diagnostic, valorisation, recherche).

Quand la compétence scientifique devient entrave au « marché libre et non faussé »

Sur le premier point, les opérateurs privés n’ont jamais caché leur objectif : cantonner l’Inrap à la seule réalisation des diagnostics ou, à défaut, lui interdire de postuler sur les marchés de fouille dont il aurait assuré préalablement le diagnostic (ce qui revient sensiblement au même). Et l’autorité de la concurrence de s’inquiéter « d’une connaissance réelle du terrain et d’une remontée d’expérience » acquise par les agents de l’Inrap à force de réaliser ces diagnostics. En d’autres lieux on appellerait cela une compétence scientifique. Mais en archéologie préventive cela devient une entrave au « marché libre et non faussé ». Sans doute, pour ces gardiens du temple libéral, serait-il préférable de laisser libre cours à la créativité et à l’imagination de quelqu’un qui n’y connaît rien.

Sur la distorsion de concurrence qui résulterait des subventions de l’État, on ose à peine rappeler les chiffres du rapport parlementaire du député Jean-Pierre George (Les Républicains) qui dénonçait à l’occasion du dernier projet de loi de Finances « la guerre des prix lancée par des opérateurs privés » et rappelait que les prix moyens facturés à l’hectare par ces sociétés avaient perdu 40% entre 2010 et 2014 (dernière année pour laquelle les chiffres sont disponibles), tandis que ceux pratiqués par l’Inrap restaient en moyenne 45% plus chers que ceux de la concurrence privée. On a vu plus efficaces comme « prix prédateurs »…

Naturellement, cette spirale déflationniste a été rendue possible par un subventionnement massif des opérateurs privés via le « crédit impôt recherche », un financement public qui représente en moyenne plus de 20% de leur chiffre d’affaires annuel. Les montants de crédit d’impôt déclarés par ces entreprises n’ont jamais été aussi élevés que depuis l’engagement pris par le ministère du Budget devant le Parlement d’y mettre bon ordre. En 2015, un opérateur privé a par exemple demandé le remboursement de 32% de ses charges d’exploitation (48% de son chiffre d’affaires !). Mais tout le monde le sait : dans un monde libéral, l’optimisation fiscale n’est pas une distorsion de concurrence !

Ce « Test de marché » vise aujourd’hui en premier lieu l’Inrap. Quand elle s’attaque à un secteur économique, l’Autorité de la concurrence n’a pas l’habitude de s’intéresser à un seul acteur. Les services archéologiques de collectivité territoriale qui se trouvent dans la même situation que l’Inrap tant du point de vue de la réalisation des diagnostics que des risques de subventions croisées, pourraient bien, demain, être sa prochaine cible.

Concurrence : distorsion de l’archéologie

Pour éviter une condamnation, la direction de l’Inrap a proposé un certain nombre de mesures de renforcement de sa comptabilité analytique et de certification de ses comptes. Cela aurait sans doute pu être fait plus tôt mais n’arrangera rien à la lourdeur des procédures administratives internes. Elle a surtout proposé qu’un responsable d’opération qui a réalisé le diagnostic d’un site ne puisse plus assurer la direction scientifique de l’opération de fouille qui s’ensuivrait éventuellement. En d’autres termes, un agent se verrait écarté d’une responsabilité scientifique, même s’il est le mieux à même de l’assumer, au seul motif qu’il aurait eu la malchance de caractériser ce site lors d’un diagnostic. Finalement, au seul motif d’avoir bien fait son travail. Ou peut-être va-t-on prendre le soin d’envoyer les agents réaliser des diagnostics loin des contextes sur lesquels ils travaillent habituellement. Voici qui va immanquablement contribuer à la motivation des équipes et faire monter la qualité scientifique des rapports de diagnostic. Et imaginons un instant le même type de dispositions appliqué dans le service archéologique d’une petite collectivité…

Rappelons simplement que les opérations de diagnostics, qu’elles soient réalisées par l’Inrap ou par un service de collectivité, sont entreprises sous le contrôle scientifique et technique des services de l’ État qui peuvent en refuser le rapport si celui-ci ne comporte pas l’ensemble des éléments nécessaires à l’élaboration d’une prescription de fouille et à la rédaction d’un projet scientifique et technique ; que ces rapports de diagnostic sont ensuite soumis à l’avis des Commissions inter régionales de l’archéologie (Cira). Avec ces saisines, c’est aussi l’indépendance, la compétence et le travail des agents des services régionaux de l’archéologie qui sont attaqués.

Sur cette nouvelle mise en cause du service public de l’archéologie, de l’honnêteté des personnels de l’Inrap dans l’accomplissement de leur mission de diagnostic et de la qualité du contrôle des agents de l’ État, il convient de saluer une fois de plus le grand courage politique du ministère de la Culture : après avoir renoncé à réformer un dispositif à bout de souffle, il laisse sans mot dire quelques entrepreneurs privés s’attaquer au peu qui n’était pas encore, en archéologie préventive, tombé dans l’escarcelle du « libre marché ».

Madame la ministre, vous devez vous exprimer
sur les attaques de ces sociétés privées !

Le SGPA-CGT appelle l’ensemble des personnels du service public de l’archéologie à se mobiliser et va immédiatement se rapprocher des autres organisations syndicales pour proposer des modalités d’actions.

Paris, le 7 décembre 2016.

Publication de l’Autorité de la concurrence :
http://www.autoritedelaconcurrence.fr/user/standard.php?lang=fr&id_rub=661&id_article=2909.

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