Assistance (archéologique) à Maîtrise d’ouvrage : une attaque frontale contre le service public de l’archéologie !

De l’assistance au contrôle.

Dans les recommandations du rapport de l’Inspection des patrimoines sur la fouille de La Garanne (Bouches du Rhône), une phrase, par ailleurs soulignée lors de la présentation orale, est tout sauf anodine, « Une réflexion est indispensable pour mettre en place une assistance à la maîtrise d’ouvrage ». Que l’Inspection pointe les défaillances du dispositif de la loi de 2003, on ne peut que s’en réjouir. Le Conseil Général du département des Bouches du Rhône, maître d’ouvrage de cette fouille, n’est aucunement compétent en matière d’archéologie préventive, et n’a surtout aucun intérêt, à faire réaliser une fouille de qualité.
Les conséquences que l’Inspection tire de ce constat accablant, ne vont cependant pas dans le sens d’une remise en question de la maîtrise d’ouvrage privée. Au contraire, d’après ce que l’on a pu entendre lors de cette même réunion, ainsi qu’à l’occasion d’une autre entre l’Intersyndicale et le Ministère, qui a lourdement insisté sur ce point, puis au CTP-ministériel du 11 juillet 2011, la réflexion sur l’assistance à maîtrise d’ouvrage n’est plus à faire puisque le Ministère a déjà décidé qu’elle serait effectuée par les opérateurs privés et non par l’Etat.

Puisque la maîtrise d’ouvrage privée ne fonctionne pas,

privatisons aussi l’assistance à maîtrise d’ouvrage ! ! !

Face aux protestations de la CGT, la seule réponse apportée est que les opérateurs privés ne pourraient pas être à la fois assistant et exécutant sur un même projet. De plus, cela ne concernerait que « les petites communes qui n’auraient pas les moyens de se payer un archéologue ». Or, dans le cas de La Garanne, les Bouches du Rhône, troisième département de France, n’est pas précisément « une petite commune »…

Incidence pour les Services Régionaux de l’Archéologie.

Ce qui est présenté comme une simple aide à l’aménageur pour le choix et le suivi des opérateurs constitue en fait un changement complet du dispositif, une véritable loi 2003 bis. Comme aux Pays-Bas et en Angleterre, où les fouilles sont en concurrence depuis longtemps, l’assistance à maîtrise d’ouvrage permet en réalité de contourner les services publics chargés de contrôler les opérations en confiant le contrôle de celles-ci à ces assistants. Ces derniers sont bien plus proches des aménageurs, puisque choisis et rémunérés par eux… Dans ces pays, le contrôle régulier des opérations est effectué par ces assistants et le rôle de l’Etat se limite à de très ponctuels contrôles, une fois par an, par exemple. L’Etat ne prescrit plus en détail, c’est l’assistant qui s’en occupe et l’on comprend mieux pourquoi la sous-direction de l’Archéologie insiste tellement pour que les SRA ne fassent plus que des prescriptions d’objectifs, les plus vagues possibles bien sûr !

Dans un tel système ultra-libéral, ces assistants sont eux-mêmes contrôlés par des bureaux de vérification, sorte de contrôleur en chef.

Les Services régionaux de l’archéologie sont donc attaqués dans leur essence même, puisque après une telle réforme, le contrôle scientifique se réduirait à un système de tamponnage et de vérification purement formelle, renforçant ainsi la tendance déjà amorcée du désengagement de l’Etat.
Cela est en parfaite cohérence avec les actuels objectifs de la RGPP : diminution du nombre de personnels en empêchant tout remplacement dans les SRA, à titre d’exemple.

Incidence pour l’INRAP.

Pour l’INRAP, l’attaque est plus indirecte mais tout aussi violente. Comme l’Institut ne pourra pas effectuer les fouilles pour lesquelles il aurait l’assistance à maître d’ouvrage (s’il en a le droit, ce qui n’est pas le cas a priori), il serait dans tous les cas largement perdant, ne pouvant pas faire les deux, assistance à maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre de la fouille. S’il laisse le champ de l’assistance, les opérateurs privés ne le choisiront pas. S’il fait de l’assistance, il ne pourra pas faire les fouilles concernées. Perdant sur les deux tableaux !

Incidence pour les services des Collectivités Territoriales.

Les Services archéologiques des Collectivités Territoriales ne s’en sortiraient pas forcément beaucoup mieux. Leur donner un droit à s’assister eux-mêmes (et donc à se contrôler) ne serait pas très cohérent. Ils seraient donc de fait aussi perdants dans cette réforme qui ne dit pas son nom.

Assistance à maîtrise d’ouvrage : une réelle mission de l’Etat !

La CGT a rappelé que l’assistance à maîtrise d’ouvrage, tout comme la maîtrise d’ouvrage elle-même, est une activité qui incombe à l’Etat, par le biais des SRA, notamment pour les communes sans service archéologique agréé et les aménageurs besogneux.
La CGT a demandé la mise en place d’un dispositif similaire à celui en usage à la Direction départementale des territoires (ancienne DDE). Le sous-directeur de l’archéologie (ancien de la DDE), a répondu que cette assistance serait contraire aux règles de la concurrence et qu’elle n’existait plus à la DDE. Or, s’il existe bien un dispositif public qui a été maintenu, hors du champ de la concurrence, c’est précisément celui de l’assistance à maîtrise d’ouvrage pour les communes (ATESAT, loi du 11 décembre 2001). Cette contre-vérité révèle bien l’enjeu de cette affaire. Le Ministère veut à tout prix affaiblir le service public de l’archéologie ; en premier lieu, ses propres services, puis l’Inrap, mais aussi les services des collectivités tout en promouvant les opérateurs privés.

Un coût élevé !

L’un des prétextes invoqués dans l’argumentaire du Ministère est le coût, soi-disant dérisoire d’une telle assistance (400 euros, dixit la directrice adjointe du patrimoine). Or le coût de l’assistance à maîtrise d’ouvrage a bien plus augmenté que les prix des fouilles dans les pays comme les Pays-Bas et l’Angleterre, où il peut atteindre jusqu’à 10 % du coût de la fouille. C’est donc une augmentation considérable qui est proposée, sous prétexte d’aide aux « petites communes ». A cette augmentation, il faudra, si l’on se replace dans la perspective ultra-libérale engagée, ajouter le coût des agences de vérification, extrêmement chères, qui doivent contrôler les assistants, service bien évidemment facturé, au final, aux maîtres d’ouvrage et donc à l’aménageur.

Un projet inacceptable pour les SRA, l’INRAP et les services des Collectivités Territoriales !

La CGT rejette donc ce projet sur tous les points :

 Augmenter le coût de l’archéologie préventive, notamment pour ceux qui ont déjà du mal à la financer, sous prétexte de les aider, est d’un cynisme très actuel. Aider les communes à suivre et contrôler le bon déroulement des opérations archéologiques, notamment quand elles n’ont pas de services agréés, entre pleinement dans les missions des Services Régionaux de l’Archéologie. Contrairement à ce qu’essaie de justifier le Ministère, juridiquement rien ne s’oppose à ce que les SRA aident les aménageurs, notamment les plus pauvres, dans le suivi de leurs opérations. Comme le montre la loi ATESAT qui organise cette assistance dans un cadre non concurrentiel, cette aide peut parfaitement être organisée dans ce dispositif ou dans un cadre législatif spécifique. Ce travail n’est pas non plus insurmontable puisque les SRA le font déjà – gratuitement – tous les jours.

 Faire intervenir les opérateurs privés, en tant qu’assistant, dans le choix des opérateurs de fouille n’est rien d’autre que l’institutionnalisation d’une magouille permanente. Avec vingt-deux opérateurs privés, qui se connaissent tous, et travaillent régulièrement ensemble, comment croire un seul instant que le choix d’un opérateur de fouille, par l’assistant, ne sera pas suivi, lors d’une prochaine opération, de la situation exactement inversée ; l’opérateur de fouille, son confrère-concurrent, devenu assistant, choisira bien évidemment l’ancien assistant, opportunément devenu opérateur.

 Pour ce qui est du contrôle des opérations, il n’est pas concevable qu’il se glisse dans des mains privées, rémunérées et donc sous les ordres de l’aménageur. A qui fera-t’on croire que ce contrôle pourra être indépendant et dans l’intérêt de l’archéologie ?

L’INRAP, déjà en grande difficulté, sera doublement sanctionné, par l’impossibilité de faire cette assistance et par le bénéfice qu’en tirera la concurrence privée. L’Institut risque d’être encore plus isolé, avec des missions publiques mises à l’arrière plan aux dépens de celles relevant du secteur concurrentiel.

Les services publics territoriaux n’auront rien à gagner non plus dans cette affaire. Au contraire, à terme, la Collectivité ne ressentira plus l’avantage d’avoir son propre service garant du bon suivi de la contrainte archéologique de l’aménagement et de l’exécution des opérations archéologiques. Dans ce futur système, qui séparerait et privatiserait la fonction d’assistance, l’intérêt pour une Collectivité de créer, voire de maintenir son propre Service agréé, n’a plus lieu d’être.

Non, Frédéric Mitterrand,

nous ne vous laisserons pas détruire

le service public de l’Archéologie !

Paris, le 2 septembre 2011

Lexique

Maîtrise d’ouvrage et maître d’ouvrage

C’est la personne morale pour laquelle l’ouvrage est réalisé. Depuis la loi de 2003, l’aménageur est le maître d’ouvrage de la fouille d’un site archéologique. Ce qui est très contestable !

Assistance à Maîtrise d’ouvrage ou au Maître d’ouvrage

Pour un gros ouvrage (bâtiment, route,…), l’assistant au maître d’ouvrage (suivi de marchés, etc.) a un rôle assez clairement distingué de celui du mandataire, du maître d’œuvre, du conducteur de travaux et de ou des entreprises. Or, en matière de fouilles, la parallèle est bancale : tout comme pour la maîtrise d’ouvrage, il est impossible de faire rentrer le travail de suivi dans ces cases, ce dont profite le Ministère pour essayer de faire glisser tout cela vers les entreprises privées.

ATESAT

Assistance Technique fournie par l’Etat pour des raisons de Solidarité et d’Aménagement du Territoire. Cette loi, appliquée depuis le 1er octobre 2002, place cette assistance explicitement hors du champ de la concurrence.

assistance MO

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