Archéologie préventive : Aurélie Filippetti en pleine dérive commerciale

Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, déclarait récemment devant le Conseil National de la Recherche Archéologique (CNRA) : « il nous faut mettre un terme à la logique concurrentielle qui prend aujourd’hui beaucoup trop de place dans le domaine de l’archéologie ». Malheureusement, quand il est lui-même concerné par une fouille d’archéologie préventive, le ministère est loin de donner l’exemple. Le 24 juin, la CGT Culture adressait un courrier à la ministre dénonçant la récente attribution, par l’établissement public du musée du Louvre, d’une fouille préventive à une entreprise privée plutôt qu’à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap).


Concurrence exacerbée et forte mobilisation des personnels

L’institut national de recherches d’archéologie préventive (Inrap), établissement public du MCC créé en 2001, subit aujourd’hui de plein fouet les conséquences de la loi du 1er août 2003 qui a ouvert la réalisation des fouilles d’archéologie préventive à la concurrence des entreprises privées et transféré la maîtrise d’ouvrage des fouilles de l’Etat (DRAC) aux aménageurs, publics ou privés, alors qu’ils n’ont aucune compétence en ce domaine. Les personnels de l’Inrap, et plus généralement du service public de l’archéologie (DRAC, Collectivités territoriales, etc.) se sont fortement mobilisés le 19 novembre dernier. Ils étaient plus de 1000 à défiler dans les rues de la capitale. Ils ont remis le couvert le 18 mars dernier, lors de trois manifestations organisées à Metz, Nantes et Marseille pour dénoncer cette concurrence commerciale effrénée qui aujourd’hui met en danger l’opérateur national de l’Etat, tout en dégradant la qualité scientifique des opérations réalisées et les conditions de travail des archéologues.

Suite à ces fortes mobilisations, l’intersyndicale archéologie du ministère (CGT, SUD, FSU, CNT) a travaillé d’arrache-pied et pendant plusieurs mois avec le Cabinet de la ministre et ses services, pour parvenir à un constat partagé de la situation, dramatique, de l’archéologie préventive. La ministre de la Culture a d’ailleurs souligné dans son discours au CNRA la situation préoccupante de l’Inrap qui réalise aujourd’hui moins de la moitié des fouilles préventives prescrites en France. Malheureusement, ce travail n’est toujours pas prit en compte par le ministère, qui s’en tient un toilettage a minima du dispositif.

La ministre est-elle sincère ? L’exemple de la fouille du Louvre…

Dernier exemple en date de ce fossé croissant entre le discours et les actes : la fouille préventive prescrite par le Service régional de l’archéologie d’Ile-de-France dans le cadre des travaux qui doivent permettre au musée du Louvre de mettre ses collections à l’abri des crues de la Seine. L’établissement public a lancé un appel d’offre, à la suite duquel la direction du musée a décidé d’attribuer le marché à un opérateur privé agréé, plutôt qu’à l’Inrap. On peut sérieusement s’interroger sur la note technique qui place les deux candidats à égalité. Au final, la différence s’est faite uniquement sur le critère du prix forfaitaire.

Par ailleurs, l’entreprise privée qui a obtenu le marché déroge toujours, et depuis 2009, à son obligation légale de déposer ses comptes annuels au greffe du tribunal de commerce de son siège social (code du commerce, article L232-23). Le non-respect de cette obligation n’a pas empêché le précédent ministre de renouveler son agrément à réaliser des fouilles d’archéologie préventive (arrêté du 8 mars 2012) et la ministre actuelle d’étendre cet agrément à la période Néolithique (arrêté du 5 novembre 2013). Comment les services du ministère peuvent-ils, dans ces conditions, assurer le contrôle de l’opérateur et vérifier sa « capacité administrative, technique et financière [à] réaliser les opérations d’archéologie préventive susceptibles de [lui] être confiées » (Code du patrimoine, R522-9)

L’Inrap ne devrait-il pas être l’opérateur commun d’archéologie préventive du ministère de la Culture et de ses établissements publics ?

Il est possible, dès maintenant, de remédier à « la logique concurrentielle qui prend aujourd’hui beaucoup trop de place » dans les projets d’aménagement du ministère de la Culture et ses établissements publics. Ceux-ci pourraient en effet faire appel directement à l’Inrap, sans procédure d’appel d’offre. C’est ce que font d’ailleurs les collectivités territoriales sur les aménagements dont elles ont la maîtrise d’ouvrage, lorsqu’elles disposent d’un service archéologique agréé. De la même façon, il existe au sein du ministère de la Culture et de la Communication, un établissement public administratif, l’opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la Culture (OPPIC) qui intervient directement en maître d’ouvrage mandataire des équipements culturels pour les services du ministère et pour ses établissements publics.

Dans le contexte actuel d’effondrement de l’activité de l’Institut, frappé de plein fouet par une concurrence commerciale exacerbée, que la ministre dénonce par ailleurs, l’affaire de la fouille du Louvre est un très mauvais signal envoyé aux personnels et aux défenseurs du service public de l’archéologie.

C’est pourquoi la CGT exige de la ministre qu’elle donne immédiatement toutes instructions utiles à ses services et aux établissements sous sa tutelle pour que, lorsqu’ils doivent répondre à une prescription de fouille pour des projets dont ils sont maîtres d’ouvrage, ils fassent appel à l’Inrap.

Paris, le 30 juin 2014

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