Administration centrale : des crises et des mensonges

« Ensemble,  nous allons poursuivre […] l’amélioration des conditions de travail de ceux qui font vivre les secteurs de la culture et de la communication » (Aurélie Filippetti, 2 avril 2014) :

mais il y a un énorme décalage entre ces propos concernant l’attachement généreux d’un ministre aux bonnes conditions de travail et au dialogue social et la réalité de plus de 1300 agents d’administration centrale.

On ne sait pas si cette dernière se souvient, lors de son installation et de ses premiers CHSCT et CT Ministériels de 2012, de ses envolées tant sur les politiques culturelles que sociales : il n’y avait alors que « démocratie culturelle » et attachement aux conditions de travail de ses personnels.

Dans les deux cas, quelques mois ont suffi à démonter tout espoir et enthousiasme d’un millier de personnes travaillant avec foi et conviction. On se retrouve confrontés maintenant à la cynique réalité de conditions de travail de plus en plus délétères et d’hommes et de femmes désabusés ne comprenant plus le sens du travail.


Le rapport de l’IGAC sur la RGPP avait fait un constat critique – notamment partagé par les représentants du personnel – mais ses préconisations sont demeurées vaines, et la suite est pire au vue des premières mesures de la MAP.

Sans être avertis au préalable, des agents voient leurs missions s’étendre alors que leur service est déjà parfois en surcharge de travail. Les fiches de poste, quant à elles, ne sont pas modifiées. La chasse aux doublons est lancée dans toutes les directions et la course au rendement sans stratégie lisible est de rigueur.

On conduit les services à s’éloigner de la réalité culturelle de notre pays pour se focaliser sur des missions de gestion. Ainsi, de nombreux nouveaux postes d’attachés sont dorénavant fléchés vers des activités de « gestion ». Les agents sont insidieusement poussés à la perte de toute initiative et de contact avec le terrain : les interlocuteurs naturels du ministère se détournent ainsi de plus en plus de nous. Les nouveaux bureaucrates de la culture fabriquent des Lois dans un désordre de procédures organisé de telle façon à jouer sur les oppositions de services ou de directions et surtout empêcher toute concertation et circulation d’informations bénéfiques. Les personnels du ministère, en bons techniciens de la culture, pourraient venir enrichir les débats et la cause commune de démocratie culturelle dans le cadre du partage de leurs compétences et d’une démarche collaborative enfin assumée.

On assiste au jeu flou d’ordres et contre-ordres et d’enjeux ponctuels qui créent de l’ambiguïté, voire confinent à la perversité. Des intérêts personnels peuvent même primer sur l’intérêt général. Après que la RGPP a détruit des centaines d’emploi, on constate des abus de pouvoir hiérarchique pour imposer l’obéissance et des charges de travail qu’aucune instance n’est plus invitée à valider. Suivant les mêmes procédés, on voit fleurir l’installation de nouveaux outils de fonctionnement sans aucune concertation.

C’est un jeu qui s’avère dangereux au moment où la protection des salariés, en pleine perte de confiance dans les institutions, est de plus en plus fragile et où l’on voit monter les dérives les plus populistes.

Le sens de l’injustice prolifère par un manque de transparence bien entretenu : on ne citera que les critères de cotation de la PFR et tout autre régime indemnitaire, les choix partiaux des sites internet fabriqués aux quatre coins du ministère à éliminer pour une énième version du site sinistré culture.fr, les nominations opaques des agents comme celles des encadrants. On entretient des flous inquiétants sur l’application de la Loi Sauvadet, particulièrement pour les catégories A et un recul de l’ambition bien affichée de la Ministre de remettre son ministère dans le droit commun et de lutter contre la précarité. Et quand cette dernière martèle son attachement au dialogue social, on se demande quel intérêt perfide pousse l’administration à fouler aux pieds les instances consultatives !

Au sein de l’administration, nombre de missions comme la recherche, la solidarité, la santé, l’éducation artistique et culturelle, le multimédia, la numérisation, la documentation, les enseignements supérieurs, les musées de société, la création artistique, l’inventaire et d’autres sont en pleine débâcle. De ces négligences, des départements entiers sont dans la tourmente, comme celui de la Recherche et des directions cherchent à être inventées comme celle d’une direction de l’enseignement supérieur et de la recherche sans qu’on nous transmette les moindres informations. Et la nouvelle organisation de la fonction de conducteur de personnes attend toujours, depuis plusieurs mois, sa première réunion d’information .

À la Direction générale des patrimoines, le nombre de postes vacants devient inacceptable. A commencer par celui du Directeur de l’Architecture : Pierre Bertrand Galey serait-il irremplaçable ? Cette direction composite n’a pas réussi à se sortir du maelström dans laquelle elle s’est trouvée enfermée par la RGPP, accumulant les compétences sur un champ de missions devenues ingérables. De surcroît, elle se trouve dans l’incapacité d’apporter nombre d’éléments de transversalité dont elle s’était targuée à sa création. Et, comme dans d’autres domaines, les politiques scientifiques culturelles et de médiation y sont trop souvent délaissées.

Les retombées néfastes des futurs effets de la décentralisation ont été largement passées sous silence et ses effets ne sauraient se faire attendre sur beaucoup de nos missions d’administration centrale. De nombreux liens tissés à la force du poignet depuis quelques années avec les correspondants sectoriels des DRAC risquent de se déliter. On s’interroge aussi sur nos éventuelles possibilités d’intervention dans le cadre de délégation de compétences qui verrait une explosion ingérable de nos correspondants. Et qu’adviendrait le suivi des Directives nationales d’orientation de la Ministre. Aurait-il même lieu d’être encore ?

Les administrations centrales cherchent à justifier les désordres de la gouvernance et, en particulier, l’extension de la souffrance au travail : la responsabilité en retomberait sur l’encadrement intermédiaire et les risques psychosociaux devraient être artificiellement cautérisés par la prolifération des « formations de management ». On assiste ainsi à une « hystérisation » des conditions de travail largement exploitée par la direction pour pallier la carence de management et d’encadrement.

Les conséquences quotidiennes de cette gestion du personnel, bien éloignée des ambitions proclamées par la Ministre, sont de plus en plus désastreuses :

 des dialogues sociaux, bien que programmés par certaines directions, même reconnues en « état de mal être », peinent à se concrétiser depuis plusieurs mois. Et c’est seulement à la demande insistante de la CGT-Culture que l’administration a bien voulu concéder une parcelle de concertation ! La Loi sur la création semble s’être jouée au « cabinet » de la direction, sans lien constructif avec les agents qui, s’ils veulent sauver leurs métiers, se replient, isolés dans leurs tâches domestiques. Et, comme il est de coutume, le projet « politique » de service se construit à l’envers, et l’on assiste, par exemple, au regroupement des « enseignements » sans concertation et sans qu’aucune instance n’ait été saisie. Les agents de la DGCA voit sa capacité d’interventions extérieures de plus en plus limitée, et dénoncent la main-mise d’une « culture théâtre » prédatrice sur l’ensemble des services (DGCA, …) ;

 à des remontées de situations critiques et de témoignages et ressentis douloureux pour les agents dans des services, nous sont renvoyés des réponses optimistes d’écoute et de valorisation par les encadrants des agents qu’on voudrait classer sans suite, la SDAC oppose à ces artifices un suivi pointu de chaque situation évoquée (BFS, …) ;

 des restructurations de service réfléchies depuis plusieurs mois, que la CGT-Culture découvre par hasard, présentent des réorganisations sectorielles, refusant d’anticiper les conséquences en moyens humains et financiers pour d’autres directions impactées. Ainsi, dans sa refonte du bureau des opérateurs, le SG abandonnait-il violemment la tutelle des opérateurs aux directions métiers, sans se soucier de la répartition des moyens humains essentiels à cette nouvelle stratégie. Cette réorganisation, ventilant ainsi dans les directions métiers la tutelle de l’ensemble des opérateurs du ministère, risque encore d’affaiblir considérablement les capacités de l’administration à assurer une réelle tutelle et coopération constructives avec les établissements publics. Où peut dorénavant se créer cet espace commun d’échanges des opérateurs qui devraient, chacun, contribuer à la politique culturelle du ministère ? Pense-t-on encore politique ? Il est certain que, une fois de plus, aucune instance ne fut consultée sur les enjeux de cette nouvelle politique : raison d’interrompre le CHS CT d’administration centrale du 21 mars dernier et d’obliger le CT ministériel de se prononcer quant à la politique à conduire sur la tutelle des opérateurs.
On ne pourra empêcher cependant l’administration d’aller jusqu’à imputer aux syndicats la responsabilité de retard de mises en place du seul fait d’avoir demandé le respect des procédures légales : autrement dit, il ne faut pas inverser les rôles ! (SG, …);

 des managements brutaux, faisant fi du sens de l’intérêt général et d’une gouvernance respectueuse des individus, priment sur l’impartialité des promotions, le respect des procédures et du travail bien fait.(DICOM, …) ;

 des formations sur des secteurs d’activité en permanente évolution, comme la presse et les médias manquent certainement à certains agents pour accomplir leur service avec les compétences requises par l’évolution rapide de leurs métiers (DGMIC,…). D’autres choses sont à redire quant à la liberté donnée aux agents par certains services tant pour le choix des thèmes de formation que pour des impositions d’horaires hors du temps de travail ;

 des carences de chefs de service depuis plusieurs mois, des incertitudes quant à la pérennité de plusieurs politiques et la brutalité avec laquelle on peut traiter agents et dossiers font craindre des restructurations vives, la décomposition même de services (SCPCI, …) ;

 des dysfonctionnements de gouvernance avérés au sein des administrations centrales sécrètent des états de crise, qu’on aimerait croire constructives si seulement elles étaient bien questionnées : on peut douter des résultats. Et, pourquoi ce parti-pris de refus des contenus, des productions et initiatives qui devraient pouvoir participer pleinement du meilleur service public ? ;

 des flottements de la politique culturelle conduisent à un impossible travail collectif et contraignent des agents à des choix et stratégies culturelles isolées. Ils se retrouvent ainsi contraints à ne gérer que des morceaux de politique : pour exemple, ces attributions ou coupes de subventions sans cohérence nationale ;

 des directions métiers qui n’agissent que sur leur propre territoire et dont les liaisons avec le secrétariat général sont devenues depuis quelques mois de plus en plus délétères ;

Faute d’une parole publique forte sur le devenir du personnel et de politiques volontaires à mettre en œuvre, le service des ressources humaines du ministère est considérablement affaibli. Ses personnels sont inquiets, confrontés à des problèmes d’organisation et de répartition des compétences. Des pans entiers comme le traitement du T2 ne sont pas dominés. (SRH, …).
Nous sommes également particulièrement inquiets sur la mise en place et le déroulement des concours de titularisation de la Loi Sauvadet pour les catégories A.
Parallèlement, nous demeurons attentifs aux avancées de la mise en place de l’Observatoire de l’emploi contractuel et aux agents concernés.

Pour les agents titulaires, le dégel de l’indice annoncé jusqu’en 2017, le repyramidage des catégories B et C, la progression pour les Attachés, limitation à 2 grades des corps de la catégorie C sont autant de volontés de luttes affichées par la CGT-Culture.

Forte des lois en vigueur, la CGT-Culture s’inquiète également d’une montée en puissance de signes de rétorsion des encadrants envers les agents ayant pu contacter les représentants du personnel et protégera, par le droit et tous les moyens en son pouvoir, la liberté d’expression des témoignages et ressentis des agents. Les mêmes signes apparaissent également lors de recours à la médecine de prévention. Alors que les personnels du ministère en ont tant besoin en ce moment, qu’il nous soit permis de dire que ce service est, par ailleurs, affaibli par le maintien de la précarité de ses agents.

Il faut réagir contre le sentiment de fatalité, l’impression d’absence de perspectives produit d’une déliquescence certaine de la politique des relations humaines. Renverser cette tendance, construire un rapport de force pour des solutions en rupture avec la logique, ou ambiguïté, des politiques actuelles.
La Section des administrations centrales, SDAC, avec les personnels de l’administration centrale n’ont pas d’autre choix que la lutte.

Et si les enjeux sont clairs d’instaurer un ministère fort et de démocratie culturelle, de défendre l’emploi attaqué dans notre ministère comme ailleurs, de défendre le pouvoir d’achat, la protection sociale et la retraite, d’améliorer les conditions de travail pour vivre et travailler autrement, de défendre le service public menacé par la politique gouvernementale de privatisation, d’austérité et de démission : ne sous-estimons pas le poids de la passivité, ne lui cédons pas et luttons ensemble.
Soyons réellement solidaires et laissons les personnels travailler avec leurs talents.

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