ACTION PUBLIQUE 2022 : « ARCHIVES ESSENTIELLES » : LA DESTRUCTION A DÉJÀ COMMENCÉ AVEC LE DÉPÔT LÉGAL !

A juste titre, la communauté des chercheurs, universitaires, étudiants, généalogistes ou simples citoyens, s’est alarmée récemment du chantier CAP 2022 du gouvernement pour ce qui concerne les archives !

Plusieurs appels et pétitions (Action publique 2022, « Non, Mme Nyssen les archives sont une richesse, pas un coût » ou « Les archives ne sont pas un stock à réduire » ou encore « L’Appel de Montreuil » dont un paragraphe concerne les archives) ont lancé une alerte sur cet enjeu démocratique. En effet, les documents d’archives permettent d’écrire l’histoire ; a contrario, leur absence permet de la réécrire. Ils servent à tout un chacun pour établir des droits (nationalité, succession, retraite…) Les médias se sont faits le relai de cette inquiétude, donnant la parole aux chercheurs et permettant également au ministère de la culture de répondre.

C’est ainsi que nous avons entendu le directeur des Archives de France, Hervé Lemoine et la directrice des Archives nationales, Françoise Banat-Berger, banaliser le concept d’archives essentielles, insister sur la nécessité de sélectionner plus les archives, compte-tenu de la production exponentielle de papier et du risque conséquent de rater ou de détruire des archives historiques importantes….

Voyant la contestation monter, la ministre de la Culture Françoise Nyssen, son président du Conseil Supérieur des Archives Jean-Louis Debré, son délégué interministériel des Archives de France Vincent Berjot et son directeur des Archives de France Hervé Lemoine veulent nous faire croire qu’ils vont ouvrir la discussion, concerter, s’interroger sur « un socle commun des archives historiques » à sauvegarder. Cela commencerait par une grande et large concertation au Conseil économique, social et environnemental le 8 février2018…

On croit rêver ! Loin de sauvegarder des archives, cette nouvelle politique vise à faire de la place, à dégager du kilomètre linéaire en collectant moins d’archives et en détruisant une partie des archives définitives déjà en magasins …

Et cela a déjà commencé ! CAP 2022 ne vient donc qu’encadrer et accélérer un processus déjà « En Marche » aux Archives nationales depuis 2014 !

Ainsi en août 2016, une grande partie des archives définitives du dépôt légal ont été détruites, sous la pression du SIAF et de la direction des Archives nationales.

Preuves à l’appui, nous pouvons certifier que des informations, uniques, concernant le tirage, les noms des imprimeurs n’ayant pas déposé en province, les pseudonymes, le lieu d’impression, le nom du façonnier ont été perdues à jamais, sans parler des autographes manuscrits de l’ensemble des éditeurs pour la période 1925 à 1993.

Les justifications données pour cette destruction ne tiennent pas la route : l’ensemble des informations figurerait déjà dans le catalogue de la BNF et dans des registres récapitulatifs (en fait pas toutes, ainsi qu’on vient de l’indiquer). De fait, les deux versements en partie détruits étaient très consultés et avaient même été inventoriés (depuis, les inventaires ont même été retirés de la salle des inventaires virtuelle des Archives nationales)…

Il est désastreux que pour gagner à peine plus de 200 mètres linéaires la direction du SIAF et des AN aient poussé à la destruction d’une partie de la collection de la Bibliothèque nationale, destruction qui a pour conséquence de ne plus disposer pour la période 1925-1993 d’aucune des deux collections complètes de déclarations individuelles (la collection du ministère de l’Intérieur ayant été détruite précédemment).

C’est terrible quand on sait que chaque déclaration imprimeur et/ou éditeur était remise en plusieurs exemplaires et qu’il aurait été certes fastidieux mais simple de les dédoublonner pour garder au moins une collection intégrale !

Réalisée en août 2016, cette élimination vient d’être dénoncée par les historiens du livre pour qui ces déclarations contenaient des informations essentielles, celle du premier tirage d’un ouvrage, ce type d’information permettant d’avoir une idée plus exacte de la diffusion d’un ouvrage, ainsi que Marie-Cécile Bouju, maître de conférences à l’Université Paris 8 l’a expliqué avec l’exemple des publications du Parti communiste.

Cette destruction n’est en fait que le premier coup de feu d’une politique de réévaluation des archives définitives qu’ont entreprise le SIAF depuis 2011 et les Archives nationales depuis fin 2014. Cette politique a été « théorisée » dans un document signé du délégué interministériel des Archives de France Vincent Berjot, élaboré par un groupe de travail interministériel réunissant le SIAF, la Défense et les Affaires Étrangères et mis en ligne discrètement en juillet 2014 : le « Cadre méthodologique pour l’évaluation, la sélection et l’échantillonnage des archives publiques ». A première vue, rien que de bonnes règles professionnelles. Sauf qu’en lisant attentivement, on comprend mieux les enjeux, surtout immobiliers, surtout dans le contexte de la décision du 28 mars 2014 de fermeture de la salle de lecture de Fontainebleau et de l’accès aux magasins U1 et U2.

Dès la seconde recommandation du Cadre méthodologique, on entre dans le cœur du sujet : la « réévaluation des fonds ». Il s’agit de réévaluer la pertinence de conserver des archives déjà définitives en fonction de critères conjoncturels : « changements sociétaux, réglementaires, gestion des espaces, évolution du contenu informationnel dans le temps pour une même fonction, dématérialisation, complémentarité/doublonnage des fonds conservés ». En fait, les réévaluations, vu qu’il s’agit d’archives déjà sélectionnées et triées, ne peuvent bien évidemment qu’entraîner des éliminations. La troisième recommandation est tout aussi inquiétante puisqu’elle abroge les interdictions d’élimination liées à un terminus ante quem (an VIII pour les archives départementales, 1830 pour les archives communales, 1790 pour les archives hospitalières…).

Avec la fermeture du site de Fontainebleau et l’amputation du site de Paris, la direction des Archives nationales a donc décidé dès fin 2014 la mise en œuvre de la réévaluation des fonds pour faire de la place. Ainsi que le décrit le projet scientifique et culturel 2017-2020 des Archives nationales, « il s’agira également de poursuivre la réévaluation scientifique de certains fonds massifs conservés sur le site de Pierrefitte-sur-Seine : casier judiciaire national, enquêtes statistiques, copies d’examens et de concours, comptes des collectivités locales ». Si quelques fonds peuvent correspondre à des archives intermédiaires conservées à Fontainebleau et qui auraient dû faire l’objet d’un tri et ne pas devenir archives définitives (ex. les copies d’examens et de concours, anonymes), la plupart des fonds ne peuvent et ne doivent en aucune façon être soumis à la réévaluation et l’élimination, ainsi pourtant que cela est prévu pour le casier judiciaire national ou avait été envisagé pour une partie des naturalisations.

Faute de budget et de place, il faudrait donc détruire et éliminer des archives !

La politique de Françoise Nyssen pour 2017-2022, c’est la politique du vide par le vide !

ARRÊT DE TOUTE RÉÉVALUATION-ÉLIMINATION

DES ARCHIVES DÉFINITIVES !

RETRAIT DU PROJET CAP 2022 !

Paris, le 22 janvier 2018

N.B. : Ironie de l’histoire, la destruction a commencé en 2016 avec les archives d’une institution pluriséculaire, le dépôt légal. Créé en 1537 par François 1er, il oblige les éditeurs et les imprimeurs à déposer un exemplaire de chacune de leurs publications à la Bibliothèque du roi. Ce modèle s’est ensuite étendu à d’autres pays européens au XVIIe siècle, contribuant ainsi à l’enrichissement des bibliothèques nationales et à la préservation du savoir. Pour mémoire, le texte du mandement de François 1er de 1537, conservé aux Archives nationales, a été inscrit au Registre de la mémoire du monde de l’Unesco, en 2011, au moment même où la réévaluation des fonds était en gestation…