lettre ouverte pour la préservation des étangs de Corot à Ville d’Avray

lettre ouverte pour la préservation des étangs de Corot à Ville d’Avray

Monsieur le président,

C’est avec beaucoup d’étonnement que nous avons appris cet été les travaux mis en œuvre aux étangs de Corot.

Ces travaux d’un montant colossal de 12 millions d’euros risquent – tels qu’ils sont prévus – de modifier à jamais ce cadre de verdure et de biodiversité. En effet, ces étangs participent aux continuités écologiques locales et régionales  constituant un réservoir de biodiversité boisé de la forêt de Fausses Reposes et figurant dans les ZNIEFF (zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique) des forêts de Fausses reposes et Meudon.

Si nous vous alertons aujourd’hui d’une situation que vous devez bien connaître en raison de l’émoi qu’elle suscite, c’est au regard de la préservation d’un patrimoine végétal, de la biodiversité et du respect de la charte de Florence concernant les monuments historiques que sont les parcs et jardins. En effet, ce site est classé depuis 1936 pour son caractère pittoresque paysager à préserver.

C’est à ce titre, qu’il nous semble indispensable que soit respectée la charte de Florence qui stipule : « art.6: La dénomination de jardin historique s’applique aussi à des jardins modestes qu’à des parcs ordonnancés ou paysagers. art.7 : qu’il soit lié ou non à un édifice, dont il est alors le complément inséparable, le jardin historique ne peut être séparé de son propre environnement urbain ou rural, artificiel ou naturel ».

Or, ce site nous semble être un jardin historique à double titre. D’abord comme réserve d’eau pour le domaine national de Saint-Cloud alimentant le réseau hydraulique qui a fait les riches heures de ce jardin historique du temps où Monsieur, frère de Louis XIV, organisait des fêtes en son château et son parc. Les Grandes Eaux du 17ème siècle, égayant les jardins et bassins dessinés par Le Nôtre jusqu’à la Grande Cascade se jetant dans la Seine, ont perduré jusqu’à notre époque. A ce titre donc, les étangs de Ville d’Avray sont intimement liés au domaine de Saint-Cloud et devraient être protégés comme un monument historique.

Ensuite, les étangs de Ville d’Avray ont été rebaptisés étangs de Corot en hommage au célèbre peintre du 19ème siècle, précurseur de l’impressionnisme, qui en a fait le sujet de plus de 300 de ses tableaux. Or, la charte de Florence indique « art. 8 : un site historique est un paysage défini, évocateur d’un fait mémorable : lieu d’un événement historique majeur, origine d’un mythe illustre ou d’un combat épique, sujet d’un tableau célèbre, etc ».

Or, Camille Corot a fait entrer ces étangs dans l’histoire de l’art, nourrissant ainsi l’imaginaire de millions de spectateurs et donnant à ces étangs une renommée internationale.

Des lieux sont intrinsèquement liés à des peintres : Giverny à Monnet, Auvers-sur-Oise à Van Gogh, la montagne Sainte-Victoire à Cézanne… aujourd’hui, il serait question de saccager un sujet prédominant des œuvres de Corot ? Si les étangs de Corot, sont évidemment bien moins emblématiques que le jardin de Claude Monnet à Giverny, pour autant, il semblerait inconcevable de toucher au jardin de Giverny de la sorte. Le CMN aurait tout intérêt à mieux faire connaître ce lieu dans son contexte historique et artistique allant du 17ème au 19ème siècle et au regard des enjeux environnementaux du 21ème siècle.

Comment comprendre alors, si les travaux de mise en sécurité sont nécessaires, que cela devienne l’anéantissement de ce site avec un projet démesuré et incompréhensible pour nombre de riverains. Or, il semblerait par ailleurs qu’il n’y ait pas eu d’étude d’impact sur l’aval alors que c’était l’objet même de ces travaux. Pouvez-vous nous confirmer ou infirmer cette information ? Et si vous l’infirmer, pourriez-vous nous transmettre cette étude d’impact ?

Monsieur le président, nous vous savons un farouche défenseur du patrimoine ayant l’ambition d’un CMN vert. Nous pensons que l’irréparable n’est pas encore advenu si une volonté politique de sauvegarde de ce patrimoine végétal se fait sentir.

Ainsi, alors que 18 arbres ont déjà été abattus, il nous semble qu’il est encore en votre pouvoir de reprendre à leurs bases les études sur la sécurisation des digues pour :

  • replanter des arbres en remplacement de ceux déjà coupés sur la digue du vieil étang ;
  • sauvegarder 14 arbres dont 7 tilleuls centenaires qui figurent dans la plupart des œuvres de Corot ;
  • respecter le cadre esthétique de ce lieu en évitant des passerelles qui dénatureront le cadre paysager ;
  • ramener à la raison un projet de bétonisation qui semble ne pas prendre tous les facteurs en considération – on pense notamment au déversoir qui devrait se jeter dans le ru de la Ronce età l’Aqueduc construit sous Louis XIV, classé , qui amène l’eau des étangs au Domaine de Saint Cloud et qui présente des fragilités ;
  • de relancer l’opération de curage de l’étang neuf ;
  • de reclasser l’ouvrage en digue, un barrage semblant disproportionné sur ces étangs pour une éventuelle crue tricentenale.

Nous pensons que l’Etat se doit de sauvegarder les étangs de Corot au regard de ses liens intimes avec le domaine de Saint-Cloud et pour ce qu’ils représentent dans l’histoire de l’Art.

L’Etat se doit aussi d’inscrire les monuments dans leurs territoires. Nous pensons qu’il serait préjudiciable pour l’image du CMN comme du ministère de la culture de défigurer ce cadre de verdure et de culture pour les habitant.e.s de Ville d’Avray et ses environs.

Vous le savez, la démocratisation culturelle est un enjeu important pour la CGT tout autant que la démocratie culturelle. A quelques jours des Journées européennes du patrimoine, il nous semble important que les citoyen.ne.s aient non seulement accès au patrimoine – architectural et végétal – mais aussi que ces derniers soient informés et entendus comme acteurs et actrices de  la protection du patrimoine. Nous pensons que les associations de protection de la faune et de la flore auraient pour de tels projets, un rôle important à jouer avec une expertise qui pourrait être précieuse pour l’établissement dans les travaux à mener et dans les médiations de ce patrimoine environnemental à faire comme d’ailleurs cela se fait déjà dans d’autres sites du CMN.

Nous espérons et pensons que des solutions liant protection patrimoniale, environnementale et conditions de sécurité ne sont pas contradictoires et que des solutions peuvent être trouvées.

Nous vous remercions de l’attention que vous voudrez bien apporter à ce courrier.

Paris le 16 septembre 2020.

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