Projet de réforme des retraites : l’envers du décor et les véritables impacts

Quelles sont les raisons invoquées par le gouvernement pour défendre son projet de réforme des retraites ?

« Un pognon de dingue ! »

Le gouvernement MACRON s’appuie sur des raisons économiques et démographiques pour justifier son projet de réforme des retraites, car c’est « la réforme ou la faillite » de l’État, comme le martèle le ministre des comptes publics Gabriel Attal.

  • Selon le premier argument gouvernemental économique, les régimes des retraites seraient en déficit de 12 Milliard d’€ par an, avec entre autres le coût exorbitant des « régimes spéciaux » (RATP, les Gaziers, la Banque de France, les clercs et employés de notaires, …) et celui très spécial des fonctionnaires.
  • Le deuxième argumentaire est donc celui de la démographie : la population vieillit et l’espérance de vie rallonge, donc mécaniquement le ratio entre le nombre d’actifs cotisants et le nombre de retraités diminue d’année en année.
  • Le troisième argumentaire se base sur un comparatif européen : il n’y a plus qu’en France que l’âge légal de départ à la retraite est à 62 ans.

En vrai ?

Réponses à l’argumentaire économique

Le Président du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) Pierre-Louis BRAS, auditionné le 19 janvier 2022 à l’Assemblée Nationale, a souligné que « les dépenses des retraites ne dérapent pas » et qu’elles étaient même « globalement stabilisées et maitrisées ». Au pire des scénarii, il ne serait question que de 4 Milliards d’€ d’ici 2032, soit 0.8 % du PIB, alors que les réserves totales des caisses de retraites peuvent très largement couvrir cet éventuel déficit puisqu’elles s’élèvent à + de 8% du PIB (rapport du COR 2022[1]). Par ailleurs, la part prise par les régimes spéciaux, régime reconnaissant véritablement la pénibilité des métiers dans ces secteurs, s’élève à 21 Milliards d’€ en 2021, à peine 5 % du système des retraites.

Réponses à l’argumentaire démographique

Selon les études les plus récentes de l’INSEE, l’espérance de vie plafonne depuis une dizaine d’années en France[2]. Ce qui est vrai, c’est que le ratio actifs/retraités s’est considérablement réduit[3] : on passe de 4 cotisants pour 1 retraité en 1960 à 1,7 cotisant pour 1 retraité aujourd’hui. Mais est-ce l’origine de la « faillite » ? Et bien non ! Parce qu’entre 1960 et aujourd’hui, avec la baisse du temps de travail (35h) et malgré le vieillissement de la population, le chômage et la précarité croissante, les actifs (salariés et agents publics) produisent 4 fois plus qu’en 1960 ! La productivité horaire a été multiplié par 5,5 fois et donc les richesses créées par le travail (le PIB en gros) avec. C’est pourquoi il n’y a pas réellement de déficit du système des retraites par répartition. En revanche depuis les années 1990, les gouvernements successifs ont systématiquement réduit la part prise par les cotisations patronales sur les richesses créées par le travail, soit -16 % en 30 ans !

Réponses à l’argumentaire sur le comparatif européen

Cette comparaison avec tous les autres pays de l’Union européenne repose sur une ambiguïté puisqu’ils n’ont pour la plupart pas de système de retraite intergénérationnelle par répartition, mais des retraites assurancionnelles et/ou par points par achat individuel. Du point de vue statistique, l’âge moyen effectifs de départ, en France se situe dans la moyenne européenne à 63 ans.

Quelles sont les véritables motifs économiques de cette réforme ?

Et pourquoi tant de haine contre les salariés ?

En fait, les 12 Milliards de déficit annoncés par le gouvernement se trouvent être au cœur d’une promesse faite par le Président de la République en novembre 2022 au grands patrons des groupes privés Lafarge, Arcelor-Mittal ou Total Energie de débloquer pour eux 10 Milliard d’€ d’aides publiques supplémentaires afin de soi-disant « décarboner » les sites installés en France. Macron leur assurait ainsi qu’un nouveau report de l’âge de départ à la retraite était donc indispensable pour compenser cette aide dans les dépenses publiques !

Comme l’analyse le président du COR, les dépenses de maintien des retraites « ne sont pas compatibles avec les objectifs de politique économique et de finance publiques du gouvernement ». Autrement dit, la réforme actuelle des retraites à 64 ans est une mesure d’austérité budgétaire pour dégager les moyens de financer les grands groupes privés qui ont réalisé lors du COVID les plus spectaculaires « Superprofits ». Ce même gouvernement a refusé de les taxer. Le Président des patrons fait son boulot, transformant l’Etat social providence chargé de protéger la population face aux « risques sociaux » en Etat providence des grands patrons chargé d’assurer leur taux maximum de profit ! Un « pognon de dingue » de 207 Milliards d’€ en 2021 versés à ces actionnaires, qui, si on ramenait ces aides publiques simplement à l’année 2018, dégagerait 60 Milliard d’€ dont une partie pourrait aller à nos retraites, non ?

Et contre les agents publics ?

Le collectif Nos services publics[4] met en lumière les hypothèses du gouvernement qui ont été transmises au COR pour établir ses projections. Elles auraient « un impact négatif de grande ampleur sur l’état des services publics », et interrogent la sincérité des chiffres de déficit utilisés dans l’étude d’impact du gouvernement, notamment d’ici à 2030. Ces hypothèses prévoient, sur la durée du quinquennat :

·      un gel global des effectifs (hors fonction publique hospitalière) avec l’impossibilité de recruter au-delà du remplacement des départs à la retraite,

·      un gel des rémunérations qui impacterait d’autant les pensions des fonctionnaires partant à la retraite en 2027. Bercy prévoit en effet un quasi gel du point d’indice (+0,1% en euros courants) ainsi qu’un gel des primes ! Selon le COR, une telle stagnation conduirait à une baisse de la rémunération réelle (une fois prise en compte l’inflation) des fonctionnaires de minimum 11 % entre 2022 et 2027 !

Cette dégradation de la masse salariale publique conduirait par conséquent à aggraver considérablement le déséquilibre du système de retraites à horizon 2030, alors qu’à l’inverse, si aucun décrochage de la rémunération des fonctionnaires n’était organisé et que la masse salariale indiciaire évoluait comme celle de l’ensemble de la population, le déficit du système de retraites serait diminué d’un tiers à horizon 2030.

Qui est impacté par cette réforme ?

Tout le monde !

La réduction des droits à pension ne cesse de s’accroître depuis les premières réformes des années 90 (désindexation des retraites sur les salaires, report de l’âge légal, allongement des durées de cotisation, dégradation du taux de remplacement), tandis que les cotisations patronales diminuent. Cette nouvelle réforme n’est que la prolongation des précédentes, avec comme principales mesures :

  • relèvement progressif de l’âge légal à compter du 1er septembre 2023, à raison de trois mois par année de naissance. Il sera fixé à 63 ans et 3 mois en 2027 à la fin du quinquennat, puis atteindra la cible de 64 ans en 2030 ;
  • avoir travaillé 43 ans dès 2027 pour bénéficier de sa retraite à taux plein, (durée de cotisation votée dans le cadre de la loi Touraine de 2014) ;
  • toujours attendre 67 ans pour bénéficier automatiquement d’une retraite à taux plein.

Concernant la pension minimum de 1200€ (85% du SMIC), elle ne concernera que les personnes partant à la retraite après une carrière complète, et dont les emplois – à temps complet – auront été rémunérés à hauteur du SMIC.

Le projet de loi évoque la création d’un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle d’1Milliard d’€ pour le secteur privé, à destination des métiers les plus exposés aux facteurs de risques ergonomiques qui causent 9 maladies professionnelles sur 10 (postures pénibles, port de charges lourdes et vibrations mécaniques), qui devront préalablement être recensés par les branches professionnelles et la sécurité sociale.

Les fonctionnaires

Le report de l’âge légal de départ de 2 ans concerne l’ensemble des fonctionnaires, y compris ceux de la catégorie active, qui bénéficieront en revanche de la portabilité de leurs droits.

La fin des régimes spéciaux pour les agents de la RATP, les clercs et employé·es de notaires, les personnels de la Banque de France, les membres du Conseil économique social et environnemental, et les agents des Industries électriques et gazières (IEG) : à partir du 1er septembre 2023, les nouvelles recrues dans ces entreprises et secteurs seront obligatoirement affiliées au régime général pour leur retraite de base et complémentaire.

Le mode de calcul ne change pas, à savoir la prise en compte des 6 derniers mois d’activité, hors primes.

La retraite progressive sera appliquée à partir de 62 ans (possibilité de travailler à temps partiel et de toucher une part de retraite).

Un fonds de prévention de l’usure professionnelle dans les établissements de santé et les établissements médico-sociaux publics devrait être doté de 100 Millions d’€ par an pour « aménager les postes de travail, travailler à la meilleure prévention des situations qui créent de l’usure et de la pénibilité ».

Les carrières longues

En l’état actuel du projet de réforme, même si le dispositif de départ anticipé pour carrière longue est maintenu, les salarié.es qui ont commencé leur carrière à 20 ans se trouvent contraint.es de travailler pendant 44 annuités, soit une année de plus que la durée de cotisation nécessaire.

Les plus pauvres et les plus précaires

Comme le rappelle Oxfam[5], à l’âge actuel de la retraite 1/4 des hommes les plus pauvres – qui ont souvent les métiers les plus difficiles et les plus pénibles – sont déjà morts, contre 6% des plus riches. Avec un âge légal de départ à 64 ans, ce sera 1/3 et non plus 1/4. Et comme le souligne l’INSEE[6], parmi les 5 % les plus aisés, l’espérance de vie à la naissance des hommes est de 84,4 ans, contre 71,7 ans parmi les 5 % les plus pauvres, soit 13 ans d’écart. Chez les femmes, cet écart est de 8 ans.

Les femmes

Selon le rapport 2022 Les retraités et les retraites de la DREES[7], les femmes partent en moyenne 7 mois après les hommes. La pension moyenne de droit direct (hors pension de réversion) reste inférieure de 40% pour les femmes (1 154€ par mois pour les femmes contre à 1 931€ pour les hommes). En raison des temps partiels et des carrières hachées (d’après l’INSEE en 2020, 26 % des femmes salariées à temps partiel le sont pour s’occuper de leurs enfants ou d’une personne dépendante), 40% des femmes partent à la retraite avec une carrière incomplète. Le projet de réforme actuel. Le report de l’âge légal va quasiment annuler la majoration de durée d’assurance pour enfant (4 trimestres au titre de la maternité ou de l’adoption et 4 trimestres au titre de l’éducation de l’enfant), et conduire de plus en plus de femmes à devoir attendre 67 ans pour annuler la décote, sans compter celles qui, même après 67 ans, verront le montant de leur pension dégradé car elles n’auraient pas toutes leurs annuités. Car comme le souligne l’INSEE[8], la population à temps partiel est à 79,3 % féminine (chiffres 2021).

Les seniors

En 2021, seuls 56,0 % des personnes de 55 à 64 ans étaient en emploi, taux inférieur à celui de la moyenne de l’union européenne de 60,5% (cf étude de la DARES Les seniors sur le marché du travail en 2021[9]). Selon le dernier rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) d’octobre 2022[10], qui mentionne les données de la CNAV, la précédente réforme des retraites (âge légal de départ décalé de 60 à 62 ans), a entraîné des périodes de chômage supplémentaires pour cette population. La CNAV a en effet constaté que la proportion d’individus au chômage, en maladie, en invalidité mais aussi inactifs augmentait significativement à 60 ans.

La création de l’index Senior (outil de diagnostic de la situation des seniors dans l’emploi, obligatoire en 2023 au-delà de 1000 salarié.e.s et en 2024 au-delà de 300) n’y changera rien ! Et pour cause, malgré la mise en place de l’index sur l’égalité professionnelle, les salaires des femmes sont encore en moyenne 22% inférieurs à ceux des hommes[11].

Les travailleurs et travailleuses en situation de handicap

Comme le résume la DREES dans son rapport de 2020 Les personnes ayant des incapacités quittent le marché du travail plus jeunes mais liquident leur retraite plus tard[12] (chiffres 2018), « les personnes considérées comme handicapées […] liquident leur retraite à 62,4 ans en moyenne, soit 0,3 an de plus que les personnes sans incapacité ». Ces travailleurs et travailleuses « passent en moyenne 8,5 années sans emploi ni retraite après 50 ans, contre 1,8 an pour les personnes sans incapacité. Cet écart s’est accru depuis 2013, sous l’effet de la réforme des retraites de 2010 ». Par conséquent, reporter à nouveau l’âge de départ à la retraite ne permettra pas une meilleure embauche de ces personnes mais rallongera la période de précarisation et d’instabilité qui caractérise la pré-retraite.

Quelles sont les propositions de la CGT ?

Les revendications concrètes pour une réforme juste et solidaire :

  • Assurer un départ à la retraite dès 60 ans à taux plein avec 37.5 annuités,
  • Permettre un départ anticipé jusqu’à 5 ans avec un trimestre de moins par année d’exposition à la pénibilité, et jusqu’à 10 ans pour certains métiers,
  • Calculer le montant des retraites du Régime général sur les 10 meilleurs années (au lieu des 24 actuelles), et sur le maintien sur le montant de l’indice détenu dans les 6 derniers mois pour les agents titulaires,
  • Assurer un taux de pension au moins égal à 75 % du revenu d’activité pour une carrière complète,
  • Assurer un minimum de pension égal au SMIC CGT (2000€ brut)
  • Indexer les montant des pensions sur l’évolution des salaires avec rétablissement de l’échelle mobile des salaires (indexé sur le SMIC),
  • Prendre en compte les années d’étude par validation des trimestres,
  • Établir l’égalité salariale femmes/hommes.

Et son financement :

  • Supprimer les exonérations de cotisations patronales = 20 Milliards d’€,
  • Mobiliser les aides publiques sans contrepartie sociale = 157 Milliards d’€
  • Augmenter les cotisations patronale d’1% = 15 milliard d’€
  • Augmenter les salaires de 3.5 % = 6.5 Milliards d’€
  • Établir l’égalité salariale femmes/hommes = 6 Milliards d’€
  • Augmenter la valeur du point d’indice des salaires Fonction publique = 6 Milliards d’€
  • Intégrer les primes dans le calcul des retraites de la Fonction publique = 6 Milliards d’€

IL Y A L’EMBARRAS DU CHOIX POUR PROFITER DES RICHESSES ISSUES DE NOTRE TRAVAIL AFIN D’ASSURER LA RICHESSE DE LA VIE APRÈS LE TRAVAIL !

Lien vers la pétition Retraites : non à cette réforme injuste et brutale :

https://www.change.org/p/retraites-non-%C3%A0-cette-r%C3%A9forme-injuste-et-brutale-reformesdesretraites

Amplifions la mobilisation contre cette réforme injuste et brutale !!!

[1] https://www.cor-retraites.fr/node/595

[2] Espérance de vie en dessous de 86 ans pour les femmes, en-dessous de 80 ans pour les hommes. L’espérance de vie en bonne santé ne progresse quasiment plus : 65,9 ans pour les femmes et 6,.4 chez les hommes.

[3] Pour le Régime général des retraites, ce sont les actifs qui financent par les cotisations sociales (salariales et dites patronales) sur leur travail les montants des pensions des retraités, spécificité de la France des retraites intergénérationnelles par répartition.

[4] https://nosservicespublics.fr/projet-loi-retraites

[5] https://www.oxfamfrance.org/inegalites-et-justice-fiscale/reforme-retraites-injuste/

[6] https://www.insee.fr/fr/statistiques/3319895

[7] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-documents-de-reference-communique-de-presse/panoramas-de-la-drees/les-retraites-et-les

[8] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6453722

[9] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/les-seniors-sur-le-marche-du-travail-en-2021

[10] Les départs en retraite au titre de l’inaptitude, octobre 2022, IGAS

[11] https://www.insee.fr/fr/statistiques/6047789?sommaire=6047805

[12] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/les-personnes-ayant-des-incapacites-quittent-le-marche-du-travail