Pourquoi la CGT appelle à rejoindre la marche des fiertés et à soutenir le mouvement LGBTQIA+ ?
Derrière la marche des fiertés, anciennement (gay) pride, se cache une histoire de luttes et de reconnaissances des orientations sexuelles et des identités de genre directement liée au mouvement social. Des pans des identités lesbiennes (butch, connues en France comme les jules) et gays (culture bear, castro clones) revendiquent leurs racines ouvrières. La marche des fiertés commémore les émeutes de Stonewall (juin-juillet 1969), révolte dans un quartier ouvrier et noir de New-York, à la suite d’une descente de police dans un bar gay et menée par des prostitué·e·s travestis, des femmes trans, des butchs et des gays sans abris. Ces émeutes sont considérées comme ayant lancé le mouvement pour les droits LGBTQIA+. En France, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR), multiplie les manifestations et les actions entre 1971 et 1974, avant de donner naissance aux Gazolines (femmes trans et travestis), aux Gouines Rouges (lesbiennes) et aux GLH (Groupes de Libération Homosexuelle). Au Royaume-Uni, l’implication des gays et lesbiennes dans la lutte des mineurs (1984) au travers du LGSM, scellera la forte solidarité toujours existante entre syndicats et mouvement LGBTQIA+. Les luttes collectives émancipatrices sont toujours des luttes qui profitent au plus grand nombre, en termes de protection, de solidarité et d’autonomie : c’est également pour ça que les luttes LGBTQIA+ sont des luttes du mouvement social.
Notre approche est avant tout une approche inclusive et intersectionnelle. Nous emploierons ici queerphobie comme synonyme de discrimination contre les personnes LGBTQIA+ et personnes queers comme parapluie de toutes les identités de genre et orientations sexuelles couverte par le sigle LGBTQIA+.
Les oppressions et discriminations queerphobes ne sont pas détachées des autres formes d’oppression : sexisme, racisme, validisme (handicap), islamophobie, antisémitisme, classisme (situation social), grossophobie… Quelqu’un peut subir plusieurs discriminations, qui ne font pas que s’additionner mais prennent des formes spécifiques.
Il est indispensable que les luttes syndicales pour les droits des travailleureuses prennent en compte toutes ces formes de discriminations qui s’expriment dans la société et au travail, et que l’on écoute et amplifie la parole des personnes concernées, plutôt que de parler à leur place.
La queerphobie c’est quoi, exactement ?
C’est important de commencer en qualifiant les violences subies. Le rapport 2025 de l’association SOS Homophobie en propose une liste :
Menaces, y compris de mort, d’agression ou de viol, agressions physiques et sexuelles, viols, dégradation de biens et vols, licenciements, insultes, rejet et ignorance, diffamation, discrimination, harcèlement, outing (révéler qu’une personne est LGBTQIA+ sans son accord), traquenard, sexualisation, invisibilisation, amalgame avec la pédocriminalité
La liste est longue, et on y trouve des choses qu’on pourrait trouver presque « banales », et à la fois des actes de violence très concrets. L’homophobie, la lesbophobie, la transphobie tuent, poussent au suicide. Ce qu’on va voir ensemble, c’est que les discriminations du quotidien et sur notre lieu de travail sont totalement liées à ce qu’il se passe de façon plus générale dans la société et dans le paysage politique : c’est donc contre toutes ces formes de discriminations qu’on doit lutter en même temps, sur nos lieux de travail, dans notre vie privée, dans la société, et ce sont les combats de transformation sociale que porte la CGT.
Du côté du droit, il nous faut faire un rappel historique : jusqu’en 1982, l’homosexualité est pénalement condamnable et l’état condamnera des dizaines de milliers de personnes. Il a fallu attendre 2025 pour que cette persécution soit reconnue par la France. Il faut aussi attendre 1993 pour que l’Organisation mondiale de la santé ne considère plus l’homosexualité comme une maladie mentale, et 2010 en France pour les transidentités. Au sujet du traitement des personnes transgenres, la France a été condamnée à plusieurs reprises par la cour européenne des droits de l’Homme, refusant d’abord tout changement du sexe à l’Etat Civil, puis imposant pour cela des actes médicaux irréversibles comme la stérilisation. Ce n’est plus le cas depuis 2016, mais il s’agit toujours d’une procédure judiciaire, qui nécessite de fournir des preuves et témoignages. Autant de témoignages montrant que ces discriminations sont restées institutionnelles jusqu’à peu !
Parfois on entend dire que la situation s’améliore « naturellement ». C’est faux, pour deux raisons au moins : d’abord ces droits devraient être la base, la pure égalité entre citoyen·ne·s, mais ils ont été arrachés à force de luttes très longues, très difficiles. Il suffit de se souvenir de 2012 et des torrents de haine déversés par les participant·e·s à la manif pour tous, des horreurs entendues dans les médias et la bouche des politiques ! La loi Mariage pour tous est passée parce que des militant·e·s se sont battus pendant des années et jusqu’au bout.
En second lieu, la situation n’est pas en train de s’améliorer ! Les droits arrachés sont remis en question constamment. En 2025, les actes violents contre les personnes queer ont à nouveau augmenté pour atteindre le niveau le plus élevé depuis 10 ans ! C’est aussi dangereux d’être queer et visible aujourd’hui qu’il y a 10 ans !
Aux Etats-Unis, depuis l’élection de Trump, on voit les droits des travailleureuses les plus pauvres, des personnes queer, des femmes, des personnes racisées, immigrées, attaqués frontalement. Et dans le même temps, des mesures sont passées pour favoriser les ultra-riches, l’industrie des énergies fossiles, la casse de l’assurance maladie… Ça va ensemble. Au Royaume-Uni, la Cour Suprême a décidé en avril 2025 d’exclure les femmes transgenres de la définition juridique de « femme », ce qui les expose directement à des violences et discriminations, y compris administratives et juridiques.
C’est aussi le cas en France, il ne faut pas se leurrer. En 2021, la loi bioéthique ouvre l’accès à la procréation médicalement assistée à toutes les femmes cisgenres mais exclut les personnes trans, et ne met pas fin à la mutilation des personnes intersexes malgré les demandes des associations. L’actuel gouvernement Bayrou compte au moins 7 ministres ex-soutiens de la « Manif pour tous » ou opposé·e·s à la PMA pour toutes les femmes. Bruno Retailleau, ministre de l’intérieur, a voté contre l’interdiction des thérapies de conversion. Les discriminations queerphobes sont des problématiques toujours très actuelles.
Une deuxième idée reçue, c’est de penser qu’aujourd’hui ces violences ne sont le fait que d’individus intolérants, que tout se joue à un niveau individuel. C’est le même discours qui est entendu quand on parle de racisme ou de féminisme par exemple. Ces discriminations sont systémiques et institutionnelles, elles sont le produit de structures de domination. On vit dans une société capitaliste et cis hétéro-patriarcale, c’est-à-dire dans une société dont la structure est sexiste, valorise le masculin, et impose comme norme l’hétérosexualité, et le fait d’être cisgenre, c’est-à-dire ne pas être transgenre. On vit aussi en France dans un pays avec une lourde histoire coloniale raciste et violente, qui impacte encore la société actuelle.
Ces structures de pouvoir et de domination ont pour objectif notre exploitation, l’exploitation de notre force de travail, et de nos corps, au profit d’une classe possédante et dominante. On nous impose des normes, arbitraires, violentes, pour hiérarchiser les travailleureuses entre elleux, justifier leur exploitation, et pour nous diviser.
L’extrême-droite cherche souvent à opposer unité et diversité, parle de « communautarisme » opposé à une pseudo unité nationale. C’est une fausse rhétorique, une rhétorique tordue. Promouvoir une « unité » basée sur un modèle monolithique qui exclue toute sortie des normes, ce n’est pas unir, c’est diviser, exclure, oppresser. Il reste qui, quand on a écarté les femmes, les personnes racisées, les personnes queer, les militant·e·s, les personnes en situation de handicap, les travailleureuses, les migrant·e·s, les pauvres ? Pas d’unité sans diversité ! On doit être ensemble, uni·e·s, solidaires, lutter contre toutes les oppressions, et prendre le temps d’être à l’écoute les un·e·s des autres.
Et au travail ?
Ces situations sont indissociables du monde du travail : les discriminations ne s’arrêtent pas une fois passée la badgeuse.
En 2024, 28% des personnes queer déclarent avoir été victimes d’au moins une agression queerphobe au travail. Plus de la moitié des employé·e·s queer déclarent avoir entendu des expressions queerphobes sur leur lieu de travail. On constate également des discriminations lorsque ces faits sont dénoncés : mises à pied, licenciements abusifs etc…
Une étude de 2019 montre qu’à CV équivalent, vous avez 36% de chance en moins de recevoir une réponse positive d’un employeur si vous êtes perçu·e comme homosexuel·le. Ainsi les travailleureuses queers sont exposé·e·s à une grande précarité.
Une majorité des situations de queerphobie sont générées par des collègues : remarques, rumeurs, insultes déguisées en blagues, jusqu’à l’agression verbale ou physique, l’agression sexuelle…
Pour toutes ces raisons, beaucoup de personnes queer ressentent la nécessité de cacher leur orientation sexuelle ou identité de genre au travail : 40% auprès de leurs collègues, plus de la moitié auprès de leur hiérarchie, alors que c’est auprès d’elle qu’il faut se manifester pour faire valoir ses droits. Elles sont ainsi privées de certains droits liés au mariage, au PACS, aux droits familiaux…
Dans les musées, c’est plus délicat de poser un diagnostic. Ces derniers temps, ce que beaucoup de collègues font remonter, ce sont des problèmes de sexisme, de racisme et de harcèlement. Il ne suffit pas de dire qu’il n’y a pas de discriminations, au motif qu’il n’y a pas beaucoup de remontées auprès des ressources humaines ! On observe cependant dans les données accessibles aux représentant·e·s des personnels une forte augmentation des actes et paroles discriminatoires de manière générale.
Malheureusement, les bilans sociaux uniques, agrégeant et organisant les données et les activités RH ne permettent pas d’identifier spécifiquement les signalements d’agressions queerphobes. Mais quand on discute entre collègues, il y a clairement des situations anormales qui remontent.
Il faut que l’administration soit saisie, car elle a la responsabilité de faire cesser toute situation discriminatoire. Mais on vient de voir qu’il peut être très difficile de prendre la parole, de s’adresser à sa hiérarchie et de dénoncer des discriminations dont on est témoin ou victime : c’est pour cela que le SNMD CGT-Culture vous sollicite directement et a besoin de vos retours sur toutes les situations de discrimination que vous vivez ou constatez, que ça concerne des queerphobies ou d’autres formes de discriminations.
Vous pouvez nous parler de tout. Il n’y a pas de petite discrimination : il existe un continuum entre les discriminations qu’on qualifie souvent à tort « d’ordinaires », les micro-agressions du quotidien, et les discriminations plus violentes, jusqu’aux discours politiques et aux systèmes d’oppression structurels. Ce sont les agressions du quotidien qui autorisent ces discours politiques de haine et la perpétuation des oppressions.
Il faut réagir, à chaque fois, ne rien laisser passer, car chaque acte intolérant sert ce projet. On a toustes la responsabilité d’intervenir, et de défendre nos droits. Le droit de tomber amoureux·se·s, de fonder une famille. Le droit de disposer de nos corps, de prendre soin de nous, d’être traité·e·s avec dignité. Le droit d’être protégé·e·s, d’être visibles, d’être libres. Le droit de se chercher, d’expérimenter, de se tromper, de changer. Le droit de décider pour soi. Le droit d’être heureux·se·s. C’est le droit pour nous-mêmes, nos collègues, nos ami·e·s, nos familles, nos enfants. Celles et ceux qu’on voit, celles et ceux qu’on ne voit pas.
MARCHE DES FIERTES, SAMEDI 28 JUIN 13H30 PALAIS ROYAL CORTEGE INTERSYNDICAL
Nous avons appris mercredi 25 juin, que le groupuscule d’extrême-droite « Eros », groupe prétendument gay, a annoncé sa participation à la Marche des Fiertés, malgré l’opposition des 130 associations participantes à l’Inter-LGBT, organisateur de la marche. La Préfecture de Police et Bruno Retailleau, ministre de l’intérieur connu pour son hostilité aux droits LGBTQIA+, ont appuyé cette demande par le déploiement exceptionnel d’une demi-compagnie de CRS pour « protéger » ce groupe raciste, qui, il y a peu, parlait encore de « marche des déchets » à propos de la marche des fiertés. Il y aurait des pages et des pages à écrire sur la stratégie de la tension voulue par l’extrême-droite en infiltrant nos luttes pour provoquer les militants du mouvement social. Samedi, il faudra faire attention et se conformer aux décisions de l’Inter-LGBT pour éviter de donner à ces nervis ce qu’ils cherchent. Paris, juin 2025
POUR ALLER PLUS LOIN
Pride (2014), film britannique de Matthew Warchussur la solidarité et l’amitié durant la grève des mineurs entre grévistes gallois et gays et lesbiennes londoniennes
But I’m a cheerleader (2001), film comique et camp de Jamie Babbit sur l’éveil lesbien d’une jeune femme de la classe moyenne américaine. Disponible sur la plateforme France.tv jusqu’à fin juin.
Paris is burning (1990), documentaire américain de Jennie Livingston sur la culture gay noire et latino de la Ballroom scene dans le New-York des années 80
Stone butch blues de Leslie Feinberg (édité en français au Edition Hystérique et Associé), autobiographie romancée d’une butch non-binaire de la classe ouvrière au États-Unis entre 1950 et 1980. Attention certains passages sont très crus et violent.
Lesbiennes, pédés, arrêtons de raser les murs, ouvrage collectif aux éditions La Dispute sur l’histoire LGBT francaise entre 1970 et 1990
Manifeste contra-sexuel de Paul B Preciado, au Diable Vauvert, texte théorique queer, punk, extrême et cru mais aussi brillant et hilarant
Les féministes t’encouragent à quitter ton mari, tuer tes enfants, pratiquer la sorcellerie, détruire le capitalisme et devenir trans-pédé-gouine d’Alex Tamécyclia au Nouvel Attila, texte social, rageur, inclassable, expérimental, politique et étonnamment facile à lire
La Fin des Monstres de Tal Madesta, édité à La Déferlante, devenu depuis sa sortie en 2023 un classique à mettre entre toutes les mains, une introduction parfaite à la diversité des vécus trans.
Au-delà, la littérature et la poésie LGBTQIA+ regorge de livres passionnants, percutants, exaltés, souvent enracinés dans les sensibilités corporelles : on peut citer les œuvres de William Burroughs, Jean Genet, Violette Leduc, Allen Ginsberg, Monique Wittig et de plein d’autres encore